Raymond Domenech et François Clauss se souviennent de France-Bulgarie 1993 : "un instant de sidération"

Roche et Blanc face à la Bulgarie en 1993 (1280x640) AFP
Roche et Blanc, les deux défenseurs tricolores battus par la vitesse de Kostadinov sur le deuxième but… © AFP
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avec Émilie Bonnaud , modifié à
SOUVENIRS, SOUVENIRS - L'ancien sélectionneur et l'actuel chef du service des sports d'Europe 1 étaient au Parc des Princes le 17 novembre 1993.

Il a fallu un coup du (tirage au) sort pour que l'on puisse assister à nouveau à un France-Bulgarie, affiche programmée vendredi soir au Stade de France, en qualifications au Mondial 2018. Il y avait certes eu un France-Bulgarie lors de la phase de groupes de l'Euro 1996 (victoire des Bleus 3-1) mais jamais l'équipe de Bulgarie n'était revenue sur le sol français depuis le 17 novembre 1993 et ce match de qualifications à la Coupe du monde 1994, perdu 2-1 par les Bleus dans la dernière minute du temps réglementaire sur un but d'Emil Kostadinov. Ce match, ceux qui l'ont vécu ne l'ont pas oublié. Présents en tribunes au Parc des Princes ce soir-là, l'actuel chef du service des sports d'Europe 1, François Clauss, et l'ancien sélectionneur Raymond Domenech, consultant de notre station, ont accepté de revenir sur les sentiments qui les ont traversés ce fameux soir.

La Bulgarie s'impose 2-1 à la 90e minute :

L'avant-match. François Clauss garde un souvenir précis de cette soirée du 17 novembre. "Je suis allé au Parc des Princes en scooter, je me souviens. Je suis passé chercher ma femme pour qui c'était le premier match dans un stade", se souvient notre journaliste, qui avait déjà assisté, le mois précédent, à France-Israël, mais cette fois en tribune de presse. "On peut difficilement déconnecter ce France-Bulgarie du France-Israël qui a eu lieu quelques semaines avant", confie-t-il. "Il restait deux matches, un point à prendre, donc il était dans l'imaginaire collectif obligatoire que la France participe à cette première Coupe du monde aux États-Unis. Et non seulement qu'elle y participe, mais qu'elle y brille." Sur la pelouse, la France aligne une équipe de stars : Papin, Cantona, Desailly, Deschamps, Petit, Roche, des pointures rompues aux joutes européennes et évoluant dans les plus grands clubs. De fait, François Clauss confie être arrivé au stade "hyper confiant".

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Plus le match avançait, plus on se disait 'bon, ça va, il n'arrivera rien'

Le match. Ce n'était pas le même sentiment pour Raymond Domenech, à l'époque concerné au premier chef puisque membre de la direction technique nationale (DTN) et sélectionneur des Espoirs. "Il venait après le match d'Israël où on avait perdu, où tout le monde disait que ce n'était pas grave, qu'on allait se rattraper. Mais moi, cet avant-match, je l'ai vécu dans l'angoisse en me disant 'tout peut arriver'. Et puis, plus le match avançait, plus on se disait 'bon, ça va', il n'arrivera rien'." Et pour cause.

Les Bleus jouent plutôt bien et ouvrent le score par Éric Cantona peu après la demi-heure de jeu. "L'égalisation bulgare cinq minutes plus tard (déjà par Kostadinov) nous refroidit mais la France dominait grosso modo le jeu et semblait avoir son destin en mains", se souvient François Clauss. "Dans les dernières minutes, on était même un peu plus tranquilles", abonde Raymond Domenech. Les Bulgares se créent peu d'occasions. Il reste moins d'une minute à jouer et les Bleus obtiennent un coup franc au poteau de corner. C'est gagné. Sauf que…

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Je me dis sur le coup que le filet a bougé mais que c'est le petit filet

Le but de Kostadinov. "Le but, très sincèrement, je ne le vois pas venir, l'équipe de France est si dominatrice et les Bulgares n'ont tellement rien offert que je ne sens pas le danger au moment où le Bulgare récupère le ballon", se remémore François Clauss. La sensation fut tout autre pour Raymond Domenech.

"Ce but de Kostadinov, on l'a vu arriver", insiste l'ancien sélectionneur. "Il suffisait de garder le ballon. Je me suis mis debout à ce moment-là car le même type de mésaventure m'était arrivée quand j'étais joueur, mais sur le banc, lors d'un Strasbourg-Auxerre en Coupe de France. On était qualifié et il y a un joueur qui est parti sur le côté et j'avais hurlé 'attrape-le, attrape-le, ne le laisse pas partir'. Ce joueur a centré, le but a été marqué et on n'a pas fait la finale. Et là, quand les Bulgares entament leur contre-attaque, la mémoire s'est enclenchée et je me suis dit 'fais quelque chose'  mais c'est allé tellement vite… Treize secondes en tout. Kremenliev qui récupère, qui passe à Balakov, qui trouve Penev, lequel lance Kostadinov qui trompe Lama. 2-1 pour la Bulgarie. Temps réglementaire terminé.

"Je me dis sur le coup que le filet a bougé mais que c'est le petit filet", se rappelle François Clauss. La même incrédulité gagne tous les spectateurs et tous les acteurs du football français. 'Personne n'a réalisé, d'ailleurs les gens sont restés assis, le stade n'a pas bougé", souligne Raymond Domenech. "Il y a eu une minute de silence. On se disait 'ce n'est pas vrai', 'ce n'est pas possible, il n'est pas à l'intérieur, il est sorti'. À part les Bulgares qui couraient dans tous les sens, tout le monde était abasourdi."

"C'était un instant de sidération", reprend François Clauss. "On était tellement sidérés qu'on ne savait pas quoi faire. On ne savait pas contre qui crier notre rage. Ginola n'est pas ciblé à ce moment-là. Il ne deviendra 'l'homme à abattre' qu'après les déclarations de Gérard Houllier le lendemain (le sélectionneur, qui démissionna dans la foulée de cette défaite, reprocha à Ginola non seulement son centre mais également son attitude avant le match, où il s'était confié dans la presse sur ses difficultés au sein de l'équipe de France, ndlr). En revanche, il y a quatre-cinq spectateurs autour de nous qui commencent à crier "Houllier démission !" et on hurle "Houllier démission !" car on doit hurler quelque chose."

L'après-match. La tristesse quitte le Parc pour se déverser dans les rues de Paris. "La sortie du stade, c'était un enterrement. Il y avait un peu de colère, on essayait de se résonner sur le thème 'c'est le foot'", sourit aujourd'hui François Clauss. "Ma femme était estomaquée de voir comment un amateur de sport pouvait être marqué par un but. Je lui ai dit en plaisantant que plus jamais elle ne viendrait avec moi à un match de foot !" Dans les vestiaires aussi, l'abattement est palpable.

"J'y suis allé une fois que les joueurs étaient sortis", précise Raymond Domenech. "Il ne restait plus que le staff, Gérard Houllier (sélectionneur), Aimé Jacquet (son adjoint), Henri Émile (intendant). C'est indescriptible. Il y avait une espèce de silence, d'incompréhension, plus personne n'osait dire un mot, personne ne comprenait, il manquait quelque chose. Le vide total. On ne savait pas quoi dire, on ne pouvait pas se réconforter. On avait les billets pour partir là-bas (aux États-Unis) et tout d'un coup, il n'y avait plus rien, on ne savait pas ce qui allait se passer. C'était dur."

La Coupe du monde 1994 s'est faite sans les Bleus, mais avec les Bulgares, remarquables demi-finalistes. "Lors de cette Coupe du monde, la Bulgarie est allée loin mais moi, je me disais que si Cantona et Papin avaient été là, on aurait pu revivre des émotions sportives qu'on n'avait plus eues depuis 1986 ", se souvient encore François Clauss. Il faudra finalement moins de cinq ans pour que l'ascenseur émotionnel fonctionne dans l'autre sens, avec cette victoire en finale de la Coupe du monde 1998, face au Brésil (3-0), à Saint-Denis.