Yachvili: "Forcément des rivalités"

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Propos recueillis par SYLVAIN LABBE , modifié à
Un duel de n°9, ça n'a rien de nouveau chez les Bleus. Au moment où Morgan Parra semble moins peser sur le jeu du XV de France, la tentation pourrait être grande pour Marc Lièvremont de donner le relais à Dimitri Yachvili à l'heure de défier ses vieux "amis" anglais. Du haut de ses 30 ans, le Biarrot, lui, vit cette concurrence serein, l'oeil déjà porté sur la Coupe du monde.

Un duel de n°9, ça n'a rien de nouveau chez les Bleus. Au moment où Morgan Parra semble moins peser sur le jeu du XV de France, la tentation pourrait être grande pour Marc Lièvremont de donner le relais à Dimitri Yachvili à l'heure de défier ses vieux "amis" anglais. Du haut de ses 30 ans, le Biarrot, lui, vit cette concurrence serein, l'oeil déjà porté sur la Coupe du monde. Dimitri, Marc Lièvremont vous juge en grande forme. Confirmez-vous cette impression de maîtrise et même d'une certaine plénitude dans votre jeu actuellement ? Oui, je me sens bien. Maintenant, c'est toujours délicat, on ne sait jamais tout à fait quel niveau on peut atteindre. C'est sûr que lorsqu'on a des coups de fatigue, on les ressent, quand on a de bonnes sensations dans le corps, tout autant. Aujourd'hui, c'est vrai que je me sens bien dans ma tête, je me sens bien dans mes jambes. On sait que ça reste très aléatoire et que ça peut vite tourner, mais en tout cas, on fait tout pour garder cet état d'esprit, cette régularité. Avec votre expérience, c'est cette constance dans la performance qui vous importe ? Oui, c'est le plus dur. On joue pas mal de matches en club, il y a le Top 14, la Coupe d'Europe, l'équipe de France, il faut gérer tout ça, bien récupérer pour maintenir cet état de forme maximal. Les contextes sont forcément différents, mais diriez-vous que le Dimitri Yachvili de 2011 aborde armé de bien plus de certitudes la Coupe du monde que celui de 2003 ? J'ai huit ans de plus, huit ans d'expérience et huit ans d'expérience au plus haut niveau au poste de demi de mêlée, ce n'est pas rien. Plus on avance en âge et plus on se sent en maturité au niveau du jeu. C'est un contexte en effet totalement différent de celui de 2003. J'avais à l'époque 22 ans à l'heure du Tournoi, il y avait Fabien Galthié, c'était un autre mode de fonctionnement. Le rugby lui-même a changé, on ne gagne plus les matches à quinze, mais à vingt-deux. L'état d'esprit n'est pas le même. "On ne peut pas se permettre de se cracher dessus..." La preuve en est que le staff a procédé à un coaching très tôt lors des deux premiers matches de ce Tournoi... On le vit très bien, ça prouve que les entraîneurs ont confiance en nous, qu'on gagne à vingt-deux. Que nous aussi on a notre responsabilité sur le banc d'apporter quelque chose à l'équipe et notamment de la fraîcheur physique. C'est plutôt positif de mon point de vue. N'est-ce pas difficile tout de même de ne pas pouvoir s'installer et prendre du temps de jeu à un poste comme le votre ? Oui, ce n'est pas forcément évident, mais on a cinquante ou cinquante-cinq minutes pour analyser le jeu. Ce qu'il faut, c'est rester bien concentré et bien chaud aussi parce que rentrer en cours de match comme ça, ce n'est pas évident. Il faut pouvoir se faire monter un peu le coeur à l'échauffement pour ne pas être exposé à la première accélération sur le terrain. Tout est une question de concentration et de savoir surtout être bien prêt. Depuis le début du Tournoi, on vous sent sur les talons de Morgan Parra, qui traverse peut-être une période moins faste. Comment vivez-vous cette concurrence en neuf ? (ferme) Ecoutez, on est très solidaires. On ne peut pas se permettre de se cracher dessus ou de se tirer la « bourre » négativement en dehors du terrain parce qu'on a tous notre responsabilité. Et puis je le répète, on gagne les matches à vingt-deux, on rentre en cours de match relativement tôt, donc si tu n'as pas cet état d'esprit, tu exploses. On ne comprend pas toujours ce que certains journalistes recherchent, mais il y a forcément des rivalités comme sur d'autres postes. J'essaye de ne pas me poser ce genre de questions. Je comprends que ça puisse faire parler, mais la concurrence est saine. Malgré tout, vous comprenez qu'on puisse vous opposer entre la fougue et la jeunesse de Morgan d'un côté, votre expérience et votre maîtrise de l'autre ? Oui, il y a de ça bien sûr. Même si Morgan, malgré son jeune âge, est relativement mature au niveau du jeu comme en dehors du terrain. Après, rien ne remplace les années d'expérience. Mais bon, rien n'est figé, on sait échanger nos rôles aussi, moi, être fougueux, et lui avoir de l'expérience. La fébrilité de l'équipe de France est grande depuis le début de ce Tournoi. Votre expérience à votre poste ne peut-elle pas constituer un remède à cette fragilité récurrente ? Oui, il faut amener de la sérénité, mais je ne suis pas le seul trentenaire de l'équipe, il y en a beaucoup d'autres qui ont de l'expérience, ce qui nous permet de mettre les choses à plat à certains moments et d'apporter ce calme et cette sérénité. Il sera important de garder la lucidité malgré l'agressivité à Twickenham la semaine prochaine. Des matches comme on les a faits sur les deux premiers de ce Tournoi, si on doit refaire le même le week-end prochain, je signe tout de suite. Le fait d'évoluer derrière ce que beaucoup considèrent comme actuellement la meilleure mêlée du monde ne vous impose-t-il pas une pression supplémentaire pour être à la hauteur de ce pack ? Déjà, la meilleure mêlée du monde, il ne faut pas trop s'avancer. C'est tout aussi aléatoire, c'est pareil... Après, pour nous, c'est confortable, mais il est certain que lorsqu'on a de bons ballons, il faut les assumer, mais sans forcément se mettre de pression à se dire: « Ils nous ont donné un bon ballon, il faut le bonifier. » Non, c'est notre boulot, notre responsabilité, comme la leur est de nous sortir de bons ballons. Pourquoi a-t-on malgré tout l'impression malgré la qualité de cette mêlée qu'elle ne constitue pourtant pas la rampe de lancement espérée pour le jeu de cette équipe de France ? Tu ne peux pas gagner que sur une bonne mêlée, aujourd'hui. Ça fait partie du dispositif pour gagner un match, comme on a pu le voir le week-end dernier. Sans une bonne mêlée, l'arbitre ne nous accorde la pénalité en toute fin de rencontre. C'est forcément vital d'avoir une bonne mêlée, mais ça ne nous fait pas gagner. Il faut aussi proposer autre chose. "C'est forcément vital d'avoir une bonne mêlée, mais ça ne nous fait pas gagner" A ceux qui jugent trop important le retard pris par l'équipe de France aujourd'hui et nécessaire de se recentrer sur ses fondamentaux... (il coupe) Mais en retard par rapport à qui, à quoi ? Quelles notions vous avez pour décréter qu'on est en retard ? (agacé...) En retard par rapport à l'Angleterre ? Alors on va essayer de rattraper le retard en huit jours. L'équipe de France est comme une équipe qui a pris une rouste en novembre, elle est comme une équipe qui envie de créer un état d'esprit sur ce Tournoi en vue de la Coupe du monde. Elle est comme une équipe qui a envie de gagner les matches de n'importe quelle manière que ce soit. Après le jeu, ça ne fait parfois pas plaisir à certains de ne pas voir du beau jeu, mais nous, quand on joue, comme dans tout milieu professionnel, ce qu'on veut, c'est gagner. L'état d'esprit est là. Maintenant, il va falloir en faire plus au vu de ce que proposent les Anglais, mais c'est déjà une bonne base de travail que d'avoir pu gagner ces deux premiers matches. Cette équipe anglaise semble avoir la capacité à être présente chaque année de Coupe du monde, toujours exacte au rendez-vous. Ça vous impressionne ? Oui, ils répondent présent. C'est vrai que physiquement, ils sont en train de monter en puissance et ils sont un ton au-dessus. C'est un autre mode de fonctionnement que le nôtre, ils sont sous contrat avec leur Fédération, ils possèdent des préparateurs physiques individuels. La condition physique, c'est leur objectif prioritaire. Mais au niveau du jeu aussi, ils ont trouvé leur équilibre, un trio d'attaque très performant. Une équipe qui sait mettre tout en place pour devenir championne du monde. Mais dans le contexte qui est le nôtre, on s'en sort aussi, on fait beaucoup d'efforts individuels pour être performants. La Coupe du monde a commencé depuis des années au niveau physique, on va peaufiner tout ça durant cette période de préparation, qui bien évidemment sera essentielle. N'est-ce pas lassant d'être toujours présenté comme l'arme fatale face aux Anglais ? Non, pas du tout. C'est la dernière victoire d'une équipe de France à Twickenham, je crois. C'est un grand souvenir, une grande fierté dans une carrière que d'avoir battu les Anglais chez eux, un moment fabuleux. A titre personnel, c'est vrai, un grand moment pour moi. J'ai connu aussi des désillusions à Twickenham, on y a subi aussi des branlées, donc c'est pour ça qu'on apprécie d'autant plus cette victoire. De là à ce que ce soit un paramètre qui entre en jeu dans la réflexion du staff pour l'élaboration du quinze de départ, qui sera dévoilé mardi ? Je ne pense pas non, il y un plan tactique en place, des joueurs en forme, en méforme. Après, les entraîneurs feront leur choix. Quels moyens cette équipe de France va-t-elle devoir mettre en oeuvre pour espérer créer l'exploit à Twickenham ? Il va falloir être très agressif, les agresser, gagner le défi physique, tous ses duels, être très disciplinés et puis laisser notre esprit s'exprimer librement, sentir les coups et ne pas se poser de questions, mais surtout démontrer un état d'esprit très conquérant. Mais on a vu en Irlande qu'on voulait se battre pour les uns, pour les autres, et ça, c'est une bonne chose en vue de l'Angleterre. On sait très bien qu'on ne pourra pas espérer faire un résultat là-bas si on n'élève pas notre niveau d'exigence et de détermination. On connaît nos forces, nos faiblesses, on sait que ça tient sur un fil, mais l'équipe est conquérante.