Une synthèse au point mort

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SYLVAIN LABBE , modifié à
De Nantes à Montpellier, un XV de France à court d'idées, s'il a retrouvé ses fondamentaux du Grand Chelem pour se tirer du piège argentin, peine toujours autant à convaincre à l'heure d'emballer ses supporters. Et si Lièvremont ne le nie pas totalement, ses joueurs, pour la plupart, semblent vouloir se persuader qu'ils avancent dans le vrai...

De Nantes à Montpellier, un XV de France à court d'idées, s'il a retrouvé ses fondamentaux du Grand Chelem pour se tirer du piège argentin, peine toujours autant à convaincre à l'heure d'emballer ses supporters. Et si Lièvremont ne le nie pas totalement, ses joueurs, pour la plupart, semblent vouloir se persuader qu'ils avancent dans le vrai... Heureusement, il y avait eu Thierry Dusautoir, prompt à reconnaître dans un accès de lucidité que cette sortie montpelliéraine, si elle avait au moins permis aux Bleus de quitter Montpellier la tête haute face aux Pumas (15-9), était tout sauf de nature à satisfaire cet éternel perfectionniste. "On s'est senti en danger jusqu'au bout", concèdera ainsi le capitaine tricolore, qui, c'est certain, se serait bien vu rendre la pareille aux Argentins, cinq mois après la déroute de Buenos Aires. Au lieu de quoi, "il y avait un vrai sentiment de désordre en seconde période, on n'arrivait pas trop à avoir la maîtrise de la première dans le jeu alors forcément, on a perdu de l'énergie à courir derrière le ballon et à rattraper différentes erreurs. Je pense qu'on aurait mérité plus d'écart au score, en tout cas on aurait pu faire autre chose mais on n'a pas réussi à concrétiser nos temps forts et ça donne un match gagné de justesse, ça fait un peu râler." Un peu râler, oui, c'est un doux euphémisme pour qui a entendu La Mosson saluer ce succès étriqué de ses Bleus entre le soulagement partagé avec les Tricolores et un dépit évident, placé pour les moins véhéments dans de nettes bordées de sifflets au coup de sifflet final. Les plus déçus se demandaient encore quel mauvais film avait-on pu ainsi décemment leur proposer... Epargnés au moins par la pluie, ils n'avaient en revanche pas échappé à l'ennui de cette purge qui, deux ans après, rappelait forcément un autre pensum arraché de haute lutte par les Bleus de Lièvremont à leurs meilleurs ennemis: en 2008, au Vélodrome de Marseille, ce XV de France déjà en gestation prenait avec la même douleur et déjà sans inspiration la mesure de l'Argentine (12-6). Entre ces deux matches, une désagréable impression de surplace dans l'expression offensive d'une équipe capable de réciter ses meilleures basiques, entre conquête et défense, label Grand Chelem - seulement 5 pénalités concédées -, mais toujours aussi empruntée à l'heure de prétendre à un jeu complet et ambitieux dans son expression. L'alternance, comme un slogan publicitaire Un constat qui, à écouter ses dépositaires du soir, était étranger aux principaux intéressés. A se demander si on évoquait le même match en un décalage saisissant. Morgan Parra: "On enchaîne pas mal de temps de jeu, ça se joue à rien, on transperce derrière, on se passe tous le ballon, mais on n'arrive pas à enchaîner..." Une première période dressée au pinacle, ou presque, dont le seul défaut aura tenu à son absence de concrétisation, avant que le souffle argentin ne vienne menacer jusqu'au bout le fragile capital tricolore... La faute notamment à des trois-quarts français que Lièvremont n'hésitera pas à absoudre: En tout cas, je crois qu'on ne peut pas reprocher à aucun des joueurs, quand on voit le bilan individuel de notre ligne de trois-quarts notamment, un manque d'investissement, voire même un manque de qualité sur ce match. Des intentions sans doute, mais pour quel résultat ? Un match sans essai, qui conduit Dusautoir, réaliste, à prendre les points, à la demi-heure de jeu devant l'inefficacité à dix mètres de la ligne argentine. Les valeurs du Grand Chelem sont de retour, intactes, ou presque, et c'est une grande nouvelle, mais le manque de précision de ce nouvel attelage des lignes arrière, aussi massif soit-il, incarné par un Damien Traille à ce point emprunté, ne peut se résumer à cette passe de trop, revenant en boucle dans les bouches tricolores, comme un simple détail à ajuster quand l'alternance, nouveau dada de ces trois-quarts, répété jusqu'à l'overdose comme un slogan publicitaire, est apparue vaine. Et pourtant, Yannick Jauzion, du haut de son expérience, énumère les bons points: "Les Argentins n'ont pas eu la partie facile, pas eu une seule action flagrante, c'est ce qui est important à retenir. On aurait pu jouer comme eux, jouer minimalistes, mais l'intéressant est d'essayer de trouver des actions et de la complémentarité entre nous. On avait envie de provoquer et de jouer dans des zones différentes pour voir notre comportement dans le replacement. Maintenant, il y a matière à travailler... Même si on a pris des risques et que ça aurait pu se retourner contre nous. Ce soir, on n'a pas de regrets." A ses côtés, Aurélien Rougerie, auteur de l'action d'éclat du match, balaie tout sentiment de frustration. "Frustré ? Non, je crois qu'on a tenté des choses, on a créé des espaces et des intervalles, même si on manque de réussite et de finition. Le hic, c'est qu'on n'arrive pas à enchaîner plus de trois, quatre temps de jeu... On a besoin d'un déclic et ce déclic, c'est avant tout du travail." Et puisque l'essentiel est là, dixit Lièvremont, Alexis Palisson ne cherche pas beaucoup plus loin: "Derrière, on a fait un match propre, en défense, on n'a pas pris d'essais depuis deux matches, il y a quand même de belles certitudes." Le discours du petit dernier de la ligne, Yohann Huget, s'avère de ce point de vue édifiant, lui qui ne croyait pas si bien dire avant la rencontre en avouant tout le poids et la difficulté à assumer l'héritage du "French flair". Son discours de néo-international confirme à lui seul ce renoncement. "Il y a eu du déchet, mais ce qui est positif, c'est notre défense, on a tenu le choc. On était tous à rattraper l'erreur du copain, c'est positif parce qu'on va pouvoir se concentrer sur l'attaque pour la semaine prochaine." On ne jurerait pas qu'il aura sa deuxième chance: "C'est mitigé, on ne rend jamais une copie parfaite, c'était mon premier match en équipe de France, je n'ai pas fait d'énormes conneries, pas fait d'éclairs non plus, ce qui est quand même mon but en tant qu'ailier. Mais à part Roro, qui perce en première période, on n'a vu que c'était compliqué de les traverser." Et cet aveu presque naïf, mais enfin frappé au coin du bon sens: "On s'est un peu emmerdés sur les tactiques." Mas: "Ça ne sert à rien de se tirer dessus" Et la synthèse attendue pour cet automne reste une vue de l'esprit tant les avants français tirent le frêle esquif tricolore sans pour l'instant en tirer ombrage. "On a tous fait notre petite faute, alors ça ne sert à rien de se tirer dessus, préfère noter, solidaire, Nicolas Mas. "Il faudra bien qu'on mette plus de liant entre les avants et les trois-quarts, lâche tout de même Julien Bonnaire. Ça viendra, l'essentiel était de gagner, mais on est frustrés de ce point de vue-là. On a envie de se faire plus plaisir que ça au niveau du jeu." Et William Servat au soutien: "Même si on a fait quelques erreurs individuelles, le collectif a toujours été là pour les gommer et c'est ce qui compte surtout." Pour l'heure, la famille reste solidaire et les avants tiennent la baraque, mais la France pourra-t-elle continuer longtemps à tenir ainsi sur un seul fusible face aux ténors du Sud ou une Angleterre, qui se met à assumer un jeu d'envergure ? L'Australie débarque à Paris, celle-là même que Lièvremont attend toujours d'accrocher.