Ils ont fait 2010 : Franck Cammas

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Propos recueillis par AXEL CAPRON et MORGAN BESA , modifié à
Qui dit fin d'année dit bilan. Et à l'heure des bilans, la rédaction a choisi de donner la parole à plusieurs sportifs français qui, à un degré ou un autre, ont marqué l'année sportive 2010. L'occasion pour eux d'évoquer leur discipline, mais également de revenir sur les événements qui les ont marqués au cours de ce millésime particulièrement riche. Pour cette première, Franck Cammas, vainqueur en 2010 du Trophée Jules-Verne et de la Route du Rhum.

Qui dit fin d'année dit bilan. Et à l'heure des bilans, la rédaction a choisi de donner la parole à plusieurs sportifs français qui, à un degré ou un autre, ont marqué l'année sportive 2010. L'occasion pour eux d'évoquer leur discipline, mais également de revenir sur les événements qui les ont marqués au cours de ce millésime particulièrement riche. Pour cette première, Franck Cammas, vainqueur en 2010 du Trophée Jules-Verne et de la Route du Rhum. JANVIER 2010 "2010 débute par un retour au stand" L'année 2010 débute pour vous par un passage en chantier non prévu, puisque Groupama 3 est de retour en Bretagne après une première tentative avortée dans l'Atlantique Sud sur le Jules-Verne... Oui, le 1er janvier, on commence ce chantier, plus un arrêt technique de Groupama 3 parce qu'on avait dû s'arrêter dans notre première tentative de l'hiver sur le Jules-Verne. Donc, malheureusement, un retour au stand. Mais heureusement, on était partis tôt, ce qui nous a permis d'avoir une possibilité de repartir fin janvier. Mais au 1er janvier, effectivement, le moral n'était pas au plus haut, on se battait pour mettre Groupama 3 en configuration de repartir autour du monde. Une première tentative qui s'achève en janvier 2008 par un chavirage sous la Nouvelle-Zélande, une deuxième tentative avortée au bout de deux semaines, n'avez-vous pas cédé au découragement ? Je crois que la force des grandes équipes, c'est de ne jamais baisser les bras. Tout ça nous a aussi permis de souder encore plus un équipage qui, pendant trois ans, a beaucoup navigué sur Groupama 3, a vécu de très belles aventures, avec notamment beaucoup de records, et des moins bonnes, avec cet accident en Nouvelle-Zélande. Mais toute l'équipe est restée soudé et on a continué, c'est une super marque de fidélité et de respect entre nous, il faut quand même positiver les choses. Ces épreuves ont contribué à vraiment créér un groupe superbe et on avait vraiment une équipe de feu pour cette troisième tentative. Ce mois de janvier se termine avec ce deuxième départ de l'hiver le 31 janvier. Quand vous partez, êtes-vous parfaitement serein sur la fiabilité du bateau ? On n'est jamais à 100 % serein sur la fiabilité des bateaux, c'est un sport mécanique et à chaque fois qu'on est très confiant, il nous arrive quelque chose. Alors que quand on n'est pas confiant, il ne nous arrive rien donc autant ne pas partir confiant ! (rire). C'est sûr qu'après deux échecs, on peut toujours se poser des questions, mais on sait aussi que les zones concernées par les premiers échecs ont été analysées et bien réparées, même si on peut toujours s'imaginer qu'il y a une zone invisible, le risque reste constant. Cette fenêtre météo, avec du recul, vous l'auriez saisie en novembre ? Non. En novembre, on ne partait certainement pas avec une fenêtre comme cela. Mais quand on voit fin-janvier, début-février approcher, on commence à ne plus être très gourmand et à un moment, il faut partir. Et un Trophée Jules-Verne, ça ne se joue pas non plus sur la première semaine, on en a la preuve. FEVRIER 2010 "Mer et montagne, le même état d'esprit" En février, se déroulent les Jeux olympiques de Vancouver. Est-ce un regret pour un compétiteur comme vous de ne jamais avoir la possibilité de disputer des Jeux ? C'est vrai que ce sont à chaque fois des événements mondiaux super suivis avec un gros engouement des sportifs qui crée des compétitions avec une pression décuplée. Et les compétiteurs que nous sommes, on a tous envie de rentrer dans ces compétitions. Maintenant, la course au large ne fait pas partie des sports olympiques, mais on a nos propres Jeux olympiques qui sont des grandes épreuves et sur lesquelles on arrive à avoir la même pression. Les Jeux olympiques d'hiver, c'est la montagne, dont vous êtes un mordu, d'où vous vient cette passion ? J'en ai fait beaucoup avant mes dix ans avec mes parents, j'ai même fait beaucoup plus de montagne que de mer ! J'ai fait le tour du Mont-Blanc à 4 ans avec mes parents, la tente sur le dos. On avait une maison dans les montagnes italiennes, donc j'ai toujours aimé faire ça et j'adore les paysages de montagne, j'aime m'y ressourcer car à force, j'en ai un peu marre du plat ! Où vous sentez-vous le plus à l'aise ? Sur l'eau ou sur les cimes ? Dans les deux cas, il faut faire attention, ne jamais se sentir trop à l'aise. Mais j'aime bien dans les deux cet engagement. Ce sont des milieux hostiles, mais c'est aussi ce qu'on recherche, la confrontation avec ces milieux. Et c'est vraiment le même état d'esprit. Par exemple, on met un montagnard à la mer, il y a plein de choses qui se connectent et inversement. En montagne, il faut avoir un peu plus le goût de l'effort physique pur parce que ce sont nos jambes qui nous déplacent. En mer, c'est un peu plus un sport technique et mécanique avec un gros travail sur la conception des bateaux qui n'est pas vraiment présent en montagne, où c'est un peu plus le physique qui prend le dessus, mais sinon ces deux milieux restent très proches. Février, c'est aussi la Coupe de l'America, comment l'avez-vous vécue à bord de Groupama 3 ? On est restés à neuf à l'intérieur devant un écran d'ordinateur en direct pour voir la première régate avec juste Thomas Coville tout seul à la barre, je lui disais de tenir bon pour s'entraîner en vue de la Route du Rhum ! Ça a été une bonne coupure dans notre tour du monde et puis ça m'a vachement plu qu'Oracle gagne car on a investi beaucoup de temps avec Groupama sur le truc. En plus, à bord, il y avait Steve (Ravussin, de nationalité suisse, ndlr) à l'opposé, il y a eu fight ! C'était plutôt marrant avant le départ avec assez d'inconnu sur qui allait gagner, c'était un beau suspense, mais au bout de dix minutes, il n'y en avait plus, c'était mois drôle... Quelque part, cette Aiguière d'argent n'est-elle pas un tout petit peu à vous, dans la mesure où vous avez donné un coup de main à Oracle pour se familiariser avec le multicoque ? Nous avons travaillé sur le sujet, et il y a des gens comme Thierry Fouchier que j'ai ramené sur le projet et qui était à bord encore à la fin, ça m'a fait super plaisir. Toute la conception m'a appris vraiment beaucoup de choses sur la Coupe, ça a été une coopération hyper enrichissante pour tout le monde et j'espère en effet qu'il y a un petit bout de la Coupe de l'America que j'ai pu aider à amener. Est-ce que ça reste un objectif pour vous ? C'est quelque chose que je suis, une compétition majeure dans le monde, donc évidemment ça attire les meilleurs marins, les meilleurs architectes et c'est là où il y a le plus de développement dans la voile et le plus d'argent aussi. C'est ce qui se fait de mieux et forcément, on a un oeil dessus, mais la Volvo Ocean Race, c'est un peu pareil, même si c'est de la course au large. MARS 2010 "Le Horn, un rêve d'enfant" Mars, c'est votre premier Cap Horn, à quoi pensez-vous au moment de le franchir ? Il y a une sorte de délivrance, on était trois à bord à être nouveaux Cap-horniers. Depuis le temps qu'on attendait ce moment-là, c'était vraiment un super moment, assez inoubliable, on l'a en plus passé de façon atypique, au près à tirer des bords. C'est ce qui nous a permis de faire un bord à quelques milles du rocher. A ce moment, on est tous contents, ça nous permet de regarder un peu le chemin parcouru pour en arriver là. La première fois que j'ai vu le Cap Horn, c'était sur une photo dans un livre, j'avais 10 ans, je me disais que ce serait sympa d'arriver un jour-là, c'est un rêve d'enfant. Deux semaines plus tard, vous battez le temps d'Orange II et devenez nouveaux détenteur du Trophée Jules-Verne, à Brest, avec le sentiment du devoir accompli ? Oui, c'est un soulagement, c'est vrai que ça nous aurait vraiment embêtés d'avoir un échec sur ce projet, qui avait nécessité quatre dures années de boulot et d'énergie, ainsi qu'un gros investissement de la part du partenaire. Donc c'est vraiment un soulagement de finir avec ce record, mais aussi une joie intense. Plus c'est difficile à atteindre, plus la joie est grande. C'est aussi la victoire d'un collectif, au mois de mars, il y a un autre collectif qui se met en valeur, celui de l'équipe de France de rugby qui gagne le Grand chelem, avez-vous une sensibilité rugby ? Je suis un peu moins du sud-ouest que Pascal (Bidégorry), mais je crois qu'il y a un état d'esprit au rugby de collectif et de travail d'équipe qui est assez important et qui ressemble à notre état d'esprit... même s'il y a un peu moins de chocs avec les autres. Quoi qu'il y en a suffisamment sur la mer. AVRIL 2010 "On ne fait pas de la voile pour l'argent" En avril, Tiger Woods fait son retour après ses déboires conjugaux. Votre vision de ce champion a-t-elle changé après cela ? Pas du tout, je crois que c'est un film américain... En France, ça ne poserait pas du tout de problèmes. Et on ne parle plus de sport, quand ça reste du sport, ça me va, mais là, ce n'est plus du sport. Et il n'y a pas que les sportifs qui peuvent commettre ce genre d'impair. Le problème, c'est qu'ils font un métier qui est effectivement très visible. A titre personnel, arrivez-vous à vivre comme "Monsieur tout le monde" ? Oui, on est très facilement "Monsieur tout le monde", surtout dans la voile. Après, c'est surtout l'entourage qui, à un moment, te considère différemment, c'est ça qui peut poser problème: le regard des autres qui change. Mais franchement, dans la voile, on n'est pas des superstars, comme les grands footballeurs, donc le regard des autres ne change pas si vite. Êtes-vous envieux de l'argent que peuvent gagner les footballeurs, car vous, vous devez gagner un salaire de joueur de Ligue 2 ? On ne fait pas ça pour l'argent, effectivement, sinon on aurait choisi d'autres sports ! La mécanique, ça coute cher, mais les individus sont payés de façon très raisonnable et c'est ce qui permet de garder cet état d'esprit de passionné. On est là pour notre motivation et notre passion. J'espère que ça va continuer, que la voile ne va pas devenir une histoire d'argent. Mais je crois qu'il y a beaucoup plus de marins que de financiers capables de donner des bateaux aux marins, donc le risque n'est pas trop important. La voile, ce n'est pas un métier ? C'est un métier dans le sens où c'est notre occupation à 100%, mais c'est un métier qui ne peut fonctionner que s'il y a une passion derrière. On ne peut pas faire ça en se disant: "Je fais de la voile parce que j'ai envie de gagner ma croûte". On fait de la voile car on est passionné et si en plus, on a la chance de gagner sa croûte, c'est top. MAI 2010 "Plutôt Federer que Nadal" Le mois de mai, c'est traditionnellement Roland-Garros, êtes-vous plutôt Nadal ou Federer ? Federer, mais je ne sais pas trop pourquoi... Peut-être parce que je suis entouré par beaucoup de Suisses et aussi parce que je trouve que c'est un personnage qui a beaucoup de classe, même si je ne peux pas dire que Nadal n'a pas de classe non plus. S'il y a un grand Federer, c'est parce qu'il y a un grand Nadal et vice-versa. Le fait qu'il y ait ce grand combat entre ces grands champions relève les deux. JUIN 2010 "Je serais descendu du bus... avec tout le monde !" Juin, c'est la Coupe du monde de foot et cette grève de Knysna, quel regard portez-vous sur tout ça ? L'équipe de France de foot reste une équipe de France de sport et dans tous les sports, on peut perdre. Là, j'ai eu l'impression qu'à un moment, on a considéré qu'ils n'avaient plus le droit de perdre. Ce n'est pas une honte de perdre. Après, les joueurs sont sans doute en faute sur certaines choses, mais on leur a mis une pression anormale en leur interdisant de perdre. C'est plus la manière qu'on leur a reprochée, avec le fameux épisode du bus... Je pense que ça, c'est venu après. Il y a eu un tel climat avant cette Coupe du monde en disant que les joueurs étaient des bons à rien. Je pense que chacun, individuellement, a essayé de donner son maximum, cela n'a pas permis d'aller au deuxième tour, c'est un fait, mais il y a eu des coupes du monde où la France n'était même pas en phase finale. Pour moi, ce n'est vraiment pas la fin du monde... Franck Cammas serait-il descendu du bus ? Je serais descendu... avec tout le monde ! J'espère qu'on se serait battus du mieux possible sur le terrain, on aurait peut-être perdu, mais il faut perdre avec les honneurs en ayant le sentiment d'avoir tout donné et d'avoir fait son possible pour gagner. Mais parfois, il y a des gens meilleurs que nous. On a reproché à Domenech un manque de psychologie. Sur le bateau, quand vous êtes avec l'équipage, effectuez-vous un travail sur la psychologie ? Oui, il y en a toujours, mais je réagis de façon sensitive, je n'ai pas vraiment de règles dans la façon de mener un équipage. Il faut surtout beaucoup de respect et de confiance les uns envers les autres, et, quand on fait le casting, trouver des gens qui se battent dans le même sens et sont très honnêtes envers le groupe. C'est ce que j'essaie de faire. Et puis, il ne faut pas trop se poser de questions, c'est du sport, il faut se battre, se faire mal pour gagner des courses ou des matches, c'est du travail. Avez-vous joué au foot ? Et supportez-vous une équipe ? J'ai joué au foot pendant un an, j'étais dans un club de petit village. Même si je ne suis pas réellement supporter, j'aime bien quand l'OM gagne. Quand il y a OM-PSG, je suis plutôt OM parce que ça doit être dans mes gènes, je suis né à Aix-en-Provence. LIRE LA DEUXIEME PARTIE