Dick-Peyron: Mots croisés

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Propos extraits de la conférence de presse retransmise sur www.barcelonaworldrace.org , modifié à
Etonnamment frais après plus de trois mois de mer, Jean-Pierre Dick et Loïck Peyron ont commenté lundi leur victoire sur la deuxième édition de la Barcelona World Race. Les deux skippers de Virbac-Paprec 3, fiers de marquer la course de leur empreinte, ont également évoqué l'avenir, le Vendée Globe pour le premier, la Coupe de l'America pour le second.

Etonnamment frais après plus de trois mois de mer, Jean-Pierre Dick et Loïck Peyron ont commenté lundi leur victoire sur la deuxième édition de la Barcelona World Race. Les deux skippers de Virbac-Paprec 3, fiers de marquer la course de leur empreinte, ont également évoqué l'avenir, le Vendée Globe pour le premier, la Coupe de l'America pour le second. On a l'impression que vous gagnez cette Barcelona World Race deux fois au même endroit, au niveau de l'anticyclone de Sainte-Hélène, dans la descente puis la remontée, est-ce votre avis ? Jean-Pierre Dick: On l'a gagnée dans beaucoup de compartiments. C'est vrai qu'après notre arrêt à Recife (escale technique pour un problème de chariot de grand-voile, ndlr), on a pris une bonne option qui nous a permis de nous remettre en selle rapidement, mais on avait le potentiel pour revenir. Cette première option à l'ouest nous semblait assez évidente, le moment de réussite a été de s'arrêter à Recife car ça nous a décalés vers l'ouest, on s'en est très bien tirés et on est restés dans le match. L'équipe s'est défoncée pour réparer ce rail de grand-voile, ça ne s'est joué à rien. En revenant aussi, on a pris une belle option, on l'a bien «maturée», on l'avait en tête dès le Cap Horn, on a réussi à gagner pas mal de milles avec ça, on a aussi bénéficié d'un petit souci technique de Mapfre (casse de la drisse de grand-voile, ndlr). Vous paraissez étonnamment frais après trois mois de mer... Loïck Peyron: En général, si on a l'air fatigué à l'arrivée, c'est qu'on n'a pas gagné. La plupart des vainqueurs semblent en pleine forme, mais c'est vrai qu'on a bien géré le sommeil, les phases d'attaque et de défense. C'est l'expérience, qui sert à éviter des dépenses d'énergie et de gamberge inutiles, c'est une question de gestion, mais c'est plus simple de gérer quand on est sur un bateau bleu en tête d'une course. Il n'empêche que c'est fatigant et qu'on va bien dormir, ces bateaux-là nécessitent une attention permanente. J-P. Dick: On va évaluer notre niveau de fatigue dans les jours qui viennent, car pendant la course, il y a l'adrénaline en permanence. On a très bien géré cet aspect sommeil, on est restés toujours en forme, même pendant le mois de décembre qui était le plus exigeant d'un point de vue sportif avec Foncia, on était bien dans le match. Comment jugez-vous l'évolution de cette Barcelona World Race en deux éditions ? J-P. Dick: L'épreuve a pris de l'ampleur à tous les niveaux, au niveau sportif, avec un plateau beaucoup plus étoffé, 14 participants, un plateau très international, c'est aussi ce qui m'attire. Les Espagnols étaient remarquables, ils vont faire deux-trois-quatre, c'est fantastique d'arriver rapidement à ce niveau. Et au niveau médiatique en France, l'épreuve a pris un véritable essor, c'est normal, l'épreuve va rentrer dans l'histoire maritime, le fait que des sportifs français majeurs soient là, comme Michel (Desjoyeaux), Jean (Le Cam), Kito (de Pavant), Loïck (Peyron) aussi, c'était important. Vous êtes-vous engueulés pendant ces trois mois de mer ? L. Peyron: Non, il n'y avait pas de raison. Il y a eu des moments où on s'engueulait soi-même en même temps, à cause d'une manoeuvre ratée ou d'une petite bêtise, mais on a une vraie cohésion, une vraie connivence. Après, il y a des moments inévitables quand deux célibataires endurcis vivent dans une chambre de bonne en carbone, nos petits défauts se voient un peu plus, mais on a bien géré ce paramètre. On est l'un et l'autre d'un naturel assez ouvert et on se connaît un peu mieux. Quel est votre jugement sur le règlement permettant les escales et sur les portes de glaces fixées par l'organisation ? L. Peyron: C'est un vrai débat, la sécurité, mais c'est la première fois que je fais un tour du monde sans voir des glaces, c'est la preuve les les «ice-gates» (les portes), ça a marché. Pour les escales, j'ai trouvé ça très bien, mais il ne faut pas que ce soit prévu, que ça serve à changer le bateau de fond en comble. J'ai trouvé très bien de pouvoir s'arrêter, est-ce que c'était indispensable les deux fois ? Oui. On aurait pu finir un Vendée Globe sous foc seul, mais on pouvait finir en étant derniers, avec aucun intérêt, là, il y avait encore un intérêt. C'est toujours frustrant de ne plus faire partie d'une course. J-P. Dick: Dans le Vendée Globe, le fait qu'il n'y ait pas d'escales fait partie intrinsèque de l'histoire, tu fais la préparation en fonction de ça. Mais je me mets à la place de certains projets, on mise beaucoup sur cette course et un arrêt est difficile à vivre. Mais il y a quand même eu des abandons sur cette Barcelona World Race. Dick: "Réussir la course de ma vie sur le prochain Vendée Globe" Quel a été le grand moment de votre tour du monde ? L. Peyron: On a quand même battu le record (506,33 milles parcourus en 24 heures, nouveau record en monocoque Imoca, ndlr), j'aime bien les records, 21 noeuds de moyenne, c'est propre, et c'est la preuve qu'il faut que ce soit facile pour faire ce record dans les conditions idéales. Et il y a eu le Horn forcément, symbolique. J-P. Dick: Le plus beau, c'est le Horn qui représente tellement de choses, la sortie après un mois dans le sud. Et puis la vision du cap est magique, on est passé à 1,5 mille, on n'est jamais passés aussi près, on s'est fait un petit plaisir, on a été un peu déventés, mais on était heureux d'être là, c'est magique de passer ça. Et aussi d'avoir revu mon fils il y a quinze jours... euh, quinze minutes ! Comment avez-vous géré la concurrence ? L. Peyron: On calque toujours une course en fonction de la concurrence. Le premier mois a été d'une intensité permanente et il y a une chute brutale au moment de l'abandon de Foncia, même un moment de flottement dans le rythme pendant quelques jours, on se demandait ce qu'on allait faire. Fort heureusement, les aléas qui nous ont obligés à nous arrêter ont remonté la concurrence. Mais ce n'est jamais une bonne nouvelle quand on perd un concurrent. J-P. Dick: La concurrence de Mapfre ? On était convaincus qu'on pouvait tenir cette pression. Comme nous sommes deux compétiteurs, nous étions heureux qu'il y ait cette pression, mais il fallait l'assumer. On n'était pas hyper sereins quand ils sont revenus, mais quand des conditions équivalentes sont revenues, on est repartis, on s'est défoncés et on a repris des milles les uns après les autres. C'est vrai aussi qu'ils ont eu un petit souci technique, sans doute lié à la pression de la course. Mais ce sont d'excellentes recrues (sic), j'ai été sidéré du potentiel de ces deux coureurs, c'est assez impressionnant d'apprendre à cette vitesse. Loïck au début me disait: "Tu verras, ils ne feront pas long feu", finalement, ils ont tenu pas mal ! Quel a été le moment le plus dur ? J-P. Dick: A part les arrêts, peut-être la nuit avant le Horn, on a eu une grosse houle d'arrière, on n'en menait pas large. Sur une manoeuvre à l'avant, on s'est fait un peu renvoyer dans nos 22 mètres par une vague, c'était le moment de la course le plus impressionnant en terme maritime, sinon on a toujours été en contrôle du bateau. La suite pour vous deux ? J-P. Dick: La suite, elle est claire, c'est continuer le programme Imoca. J'ai un Graal depuis pas mal d'années, j'ai changé complètement ma vie en 2002 pour participer au Vendée Globe, je me suis pris au jeu depuis, maintenant, j'ai envie de le gagner. J'ai un bon bateau, il faut que je continue à le fiabiliser et à le connaître, je vais essayer de réussir la course de ma vie sur le prochain Vendée Globe. A côté, il y a plein de choses qui me font envie, le multicoque, la Volvo... Mais j'ai surtout envie de continuer avec mes partenaires. L. Peyron: Déjà m'occuper un peu de mes enfants et de ma femme, c'est un objectif qui n'est pas facile à tenir. Parallèlement, mon grand frère (Bruno) a beaucoup travaillé sur la Coupe de l'America, on a un team qui s'appelle Energy Team aux couleurs françaises, on est en contact avec des partenaires potentiels, la problématique est de les confirmer dans les semaines qui viennent. Parallèlement, sur la partie design, ça va démarrer assez vite, on espère avoir quelques bonnes nouvelles car il faut confirmer dans peu de temps. Mon dernier tour du monde ? Non, je n'ai jamais dit stop. Si je pouvais le faire en famille et en croisière, ce serait super, mais si je pouvais le faire en course, bien sûr. C'est toujours un truc étonnant, avec la même petite angoisse du départ, toujours la même envie d'arriver et d'y retourner une fois arrivé, c'est un peu égoïste, mais cet égoïsme-là, on essaie de le faire partager.