Bidégorry: "Plus de sérénité"

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Propos recueillis par AXEL CAPRON , modifié à
Skipper du trimaran Banque Populaire V, Pascal Bidégorry est en stand-by depuis début novembre, prêt à s'attaquer au Trophée Jules-Verne, détenu depuis mars dernier par Franck Cammas sur Groupama 3. Un objectif à côté duquel le Basque et son équipage étaient passés lors de cet hiver 2009-10, faute de fenêtre météo. Rencontré en octobre lors d'une navigation d'entraînement, «Bidé» avait évoqué cette nouvelle campagne 2010-11, qu'il espère cette fois fructueuse.

Skipper du trimaran Banque Populaire V, Pascal Bidégorry est en stand-by depuis début novembre, prêt à s'attaquer au Trophée Jules-Verne, détenu depuis mars dernier par Franck Cammas sur Groupama 3. Un objectif à côté duquel le Basque et son équipage étaient passés lors de cet hiver 2009-10, faute de fenêtre météo. Rencontré en octobre lors d'une navigation d'entraînement, «Bidé» avait évoqué cette nouvelle campagne 2010-11, qu'il espère cette fois fructueuse. Vous êtes le skipper du plus grand multicoque du monde, est-ce un motif de fierté pour vous ? Oui, je suis fier, mais aujourd'hui, ce qui me fait plaisir, c'est que ce projet, je l'ai vécu de manière collective. Avant, j'avais fait des trucs tout seul, c'était sympa, mais je suis quand même pas mal sports co, je suis originaire du Pays basque, j'adore le rugby, et quelque part, je me suis rendu compte que partager les choses de manière collective, ça rajoute une dimension, ça rend les sentiments plus extrêmes. Je suis donc fier du boulot qu'on a fait, des records qu'on a déjà faits, ces temps sont déjà écrits dans le marbre. En 2006, à l'arrivée du Rhum, lorsqu'on a mis la première signature au bas d'un contrat, on était loin de penser à tout ça. En un an, quelles ont été les principales évolutions sur Banque Populaire V ? C'est avant tout du détail. De la fiabilité déjà: on a essayé de se mettre au vent de la bouée (sic) en termes de soucis de matériaux dames qu'on rencontre sur ce genre de bateau, car sur celui de Franck (Cammas) ou le nôtre, on sait que c'est un peu le talon d'Achille. Le nomex est un matériau très light et très performant au niveau structure, les chocs de vague, la résonnance, sont des phénomènes qui posaient moins de problèmes à 30 noeuds. Aujourd'hui, à 40 noeuds, on se rend compte qu'on peut avoir un peu de souci. Donc on a travaillé dans ce sens, on a rajouté un peu de mousse à des endroits où on n'avait pas eu le temps de le faire l'année dernière. On a aussi travaillé sur quelques petits détails de vie à bord, un placard à cirés plus grand, plus d'ergonomie, plus de facilité pour ranger le bateau, ça peut paraître des détails au regard de tout ce qu'il y à faire à côté, mais un minimum de confort à bord, même s'il n'y en a pas vraiment, c'est toujours mieux. On a aussi bien bossé sur les voiles, avec quelques voiles neuves qui sont vraiment des réussites, et une grand-voile optimisée. Franchement, ça fait plaisir, c'est un projet techniquement très abouti, je suis très fier de ça. Avez-vous eu des échanges avec l'équipage de Groupama 3 ? Par l'intermédiaire des architectes, déjà (le cabinet VPLP a dessiné les deux trimarans, ndlr). Et on se parle avec Franck, il n'y a pas d'amertume entre nous ! Et même s'il ne voulait pas tout nous dire, on finirait par tout savoir, la voile est un tout petit milieu ! Ce qu'il y a de positif, c'est quand on voit qu'après toute la casse qu'ils ont eue pendant trois ans sur leur bateau, il est revenu en bon état, c'est plutôt rassurant, ça valide le concept du trimaran autour du monde. Même si ce n'est pas simple parce que les bateaux vont toujours un peu plus vite. Au niveau de la casse, c'est exponentiel, les dixièmes de noeuds qu'on gagne en vitesse, au niveau des structures, ce sont des tonnes en plus, de l'impact en plus. Maintenant, ils ont très bien géré leur tour du monde en termes d'utilisation du bateau, en allant vite aux bons moments et en levant le pied quand c'était impératif pour passer. Je leur tire mon chapeau, ils ont très bien géré leur tour du monde alors que leur histoire n'a pas été simple, on va faire de notre mieux et y aller avec beaucoup d'humilité. Je touche du bois, j'espère qu'on sera assez intelligents pour en faire de même. "La force est dans le collectif" Par rapport à l'équipage prévu pour l'hiver 2009-10, vous avez ajouté un homme pour cette campagne, pourquoi ? L'année dernière, le bateau n'avait qu'un an et demi, c'était un projet neuf. On a pas mal navigué au printemps, on a pris plus de recul, on a pris le temps de discuter, et la nécessité de naviguer à quatorze s'est imposée: on ne voulait pas aller régulièrement taper dans le quart qui est off quand on avait besoin de mains - car quand on ne fait pas les manoeuvres à dix, ça se sent de suite. Donc, je suis maintenant hors-quart. Dans la gestion de la navigation, du tempo de la performance, c'est important d'avoir une présence pour imprimer le rythme et qu'il n'y ait pas de moments de flottement ou de blanc. Vous avez intégré trois nouveaux marins d'expérience, Juan Vila, Brian Thompson et Fred Le Peutrec, était-ce important d'apporter une dose d'expérience à votre équipage ? Je n'ai jamais cherché à faire un équipage en me disant qu'il faut rassembler les plus gros CV de la terre pour que ce soit viable auprès des journalistes ou du grand public. Ce qui m'importe, c'est qu'on ait un groupe avec certes des personnalités très fortes par leurs performances, mais que cet ensemble soit assez intelligent pour travailler pour un collectif, car la force est là. Maintenant, c'est vrai qu'avec un peu de recul, les trois nouveaux ont une grosse expérience du tour du monde, je vois ça d'un bon oeil, c'est certain. En un an, le skipper Pascal Bidégorry a-t-il évolué ? Je ne passe pas tous les quatre matins à me regarder dans la glace et à me poser des questions existentielles. Mais c'est sûr que parce que c'est du collectif, on est beaucoup plus vigilant sur ce qu'on fait, sur comment on le fait et comment c'est perçu, ça demande beaucoup plus de travail. Maintenant, par rapport à l'expérience de l'année dernière, je me rends compte que ça nous a permis d'avoir plus de recul, que ça nous a apporté le petit plus de sérénité qui fait qu'on sait où on va, ça se respire à bord du bateau au quotidien. On connaît très bien le bateau, l'équipage se connaît et cette maturité qu'on a pris la temps de développer cette année ne sera que positive. Après ce faux-départ de l'année dernière, ressentez-vous de la pression de la part de votre sponsor, Banque Populaire, pour vraiment partir cet hiver ? Non, j'ai de très bonnes relations avec la Banque Populaire, ça va faire sept ans qu'on travaille ensemble, ce n'est pas notre premier projet, ils savent la façon dont on travaille, la passion, la rigueur et l'envie qu'on y met, il n'y a pas de pression par rapport à ça. Après, il y a une pression positive de compétiteur, parce que c'est dans les gènes, j'ai envie que ça se passe bien, qu'on gagne, c'est dans ma nature, je ne vais pas me refaire. "Quand tu casses, tu es le roi des cons" Le fait que Groupama 3 ne soit plus là enlève-t-il une once de cette pression ? Ce n'est pas Groupama qui m'a mis la pression l'année dernière, c'est peut-être plus la presse, le contexte, qui ont rajouté cette pression. Mais je pense aussi qu'on a parfois fait des raccourcis à deux balles parce qu'on ne connaît pas tout ce que représente le projet. Nous, on ne pouvait pas se permettre de partir et de casser le bateau, tout le monde n'a peut-être pas compris ça. Et on a vraiment eu un hiver particulier: on a toujours regardé l'anticyclone de Sainte-Hélène de façon à avoir un Atlantique Sud pas très mauvais, on n'a jamais eu l'opportunité en quatre mois. Les trois fois où on aurait pu partir, on n'a pas regretté, car c'était la pire tuerie, des systèmes météo qui ne faisaient que se détériorer dans le mauvais sens. Plus que le vent, c'était l'état de la mer qui posait problème. Si on regarde bien Groupama, ils n'ont jamais navigué dans plus de 5-6 mètres de houle, et au niveau force du vent, ils ont été aussi très conservateurs, mais c'est une nécessité dans ce genre de projet. Après, qu'on n'ait peut-être pas eu la lucidité, le recul pour être un peu plus joueur, tenter des trucs qui a priori ne le faisaient pas, oui peut-être. Mais il faut aussi être honnête: ils (Groupama 3) sont partis, ils ont cassé (en novembre avant de repartir fin janvier, ndlr), nous on ne voulait pas partir parce qu'on savait que ce n'était pas bon au niveau du bateau. Et pendant qu'ils étaient là-bas, on était en train de renforcer notre bateau, on ne s'est pas vantés. Maintenant, la confrontation avec Groupama, j'aimais bien, l'Atlantique Nord, c'était top. Cette expérience décevante peut-elle vous conduire à davantage d'audace au niveau des fenêtes météo ? Oui, dans l'approche, c'est quelque chose dont on est conscient aujourd'hui. Moi, j'étais assez contre le fait de partir en se disant qu'on peut faire demi-tour au Cap Vert, car après, il faut tout se taper au près pour revenir. Et le bateau, ce n'est pas la Formule 1, on ne se met pas au stand, on change les pneus et quatre secondes après, on repart. Maintenant, je pense qu'il faut être un peu plus joueur, et je n'ai pas su l'être. L'année dernière avec Marcel (Van Triest, le navigateur, ndlr), on s'était fixé comme objectif de rentrer dans le sud avec pas de retard, voire un peu d'avance, or, sur cet hiver, il fallait accepter de rentrer dans le sud avec du retard, autrement tu ne partais pas. D'autant qu'a priori, votre trimaran, plus grand que Groupama 3, est taillé pour le sud, non ? Le sud, il ne faut pas y aller en se disant que si on est en retard, on va bourriner. Parce que c'est ça que ça s'appelle: quand tu es à 30 noeuds, tu peux aller à 33-35 et quand tu es à 35, tu peux encore aller plus vite, à 40, mais si c'est pour s'arrêter trois jours après, ça ne sert à rien. Le bateau, ce n'est pas compliqué: plus tu vas vite, plus tu es ingénieux et brillant, tu es un héros. Mais quand tu casses, tu es le roi des cons. Et la limite entre les deux est très très proche. Sur ce genre de projet, économiquement, on ne peut pas faire tout et n'importe quoi. Si le bateau est cassé, on ne va pas en faire un autre le lendemain. Maintenant, il y quand même un record à battre, donc il faut trouver un équilibre, ce qui n'est pas toujours simple.