Beyou: "On est vraiment à bloc"

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Axel Capron , modifié à
Mercredi 16 novembre, 17h. Il fait froid et nuit sur Paris, jour et chaud en Mer des Caraïbes, d'où Jérémie Beyou nous répond. Sur le Virbac-Paprec 3 de Jean-Pierre Dick, le Breton, vainqueur de la Solitaire du Figaro en août, évoque leur probable victoire sur la Transat Jacques-Vabre, attendue vendredi matin. La fatigue aidant, «Jérem'» se confie sans faux semblant, avant d'interrompre: "Attends, ça va pas assez vite, il faut qu'on aille mettre le grand spi"...

Mercredi 16 novembre, 17h. Il fait froid et nuit sur Paris, jour et chaud en Mer des Caraïbes, d'où Jérémie Beyou nous répond. Sur le Virbac-Paprec 3 de Jean-Pierre Dick, le Breton, vainqueur de la Solitaire du Figaro en août, évoque leur probable victoire sur la Transat Jacques-Vabre, attendue vendredi matin. La fatigue aidant, «Jérem'» se confie sans faux semblant, avant d'interrompre: "Attends, ça va pas assez vite, il faut qu'on aille mettre le grand spi"... Jérémie, comment se passe ce sprint final en Mer des Caraïbes ? Ça se passe bien, on a essayé de mettre beaucoup d'intensité depuis quatre-cinq jours, car on voulait vraiment dégoupiller Hugo Boss. On pensait qu'avec les autres, c'était fait, donc l'objectif était de se débarrasser d'Hugo Boss, mille par mille, car il n'y avait pas d'option. On a mis de l'intensité, fait attention aux petites trajectoires, changé de voiles assez souvent, attaqué un peu sous spi, on est super contents du résultat. Après la dernière dépression, on avait une trentaine de milles d'avance, là, on se retrouve avec 130-140 milles d'avance, on est vraiment contents du boulot. C'était vraiment important de "dégoupiller" Hugo Boss ? Pourquoi on voulait faire ça ? Parce que sur la zone d'arrivée, il y a une dépression orageuse, un peu permanent sur cette zone de Panama, qui va nous envoyer à un moment des vents un peu faibles. Donc ça va revenir par derrière, on voulait avoir un petit matelas pour négocier ce passage-là jusqu'à la ligne d'arrivée. Ce matelas vous semble-t-il aujourd'hui suffisant ? On n'en a jamais assez, mais on ne peut pas avoir 250 milles d'avance sur tout le monde ! Je sais qu'ils vont nous rattraper, ils peuvent revenir à une cinquantaine de milles, mais à un moment, ils vont aussi tomber dans moins d'air. Et 50 milles d'avance, à 7-8 noeuds de vent, ça fait beaucoup d'écart en temps. L'écart en distance va se réduire, l'écart en temps pas forcément. Je pense que si on perd, c'est qu'on n'a vraiment pas de chance, qu'on tombe dans un pataquès sans rien pouvoir faire. Vu l'avance qu'on a, il faudrait vraiment qu'on n'ait pas de chance. "Je pense que les mecs étaient un peu groggy" Pouvez-vous revenir sur votre option au nord-ouest en Atlantique qui vous a permis de fausser compagnie au reste de la flotte, à part Hugo Boss, qui a aussi choisi cette route ? On a toujours vu une route nord, on a bien essayé de faire des routages par le sud, mais on ne voyait pas trop comment arriver à passer cette dorsale. Ou si ça passait, au bout d'un moment, il fallait remonter vers le nord. Donc on trouvait un peu incongru d'aller vers le sud, c'est pour ça qu'on s'est positionnés rapidement à droite de la flotte. Ce qui s'est passé, c'est qu'on a pris quand même des pions avec les dépressions du début, quand tu sors de là, tu es un peu groggy, je pense que les mecs étaient un peu groggy, ils se sont dit qu'ils allaient se mettre un peu à l'abri, passer la dorsale et repartir. Nous, on est restés agressifs dans ce schéma, on s'est dit qu'il y en avait encore une ou deux à passer, mais que ça valait le coup. J'ai demandé à Jean-Pierre: "Si on y retourne, est-ce que tu crois que le bateau, ça va le faire ?". Il m'a dit oui, on y est allés, on a mis un peu notre confort entre parenthèses, c'est comme ça qu'on a négocié l'option. On avait confiance dans le bateau, notre duo fonctionne bien dans les manoeuvres, on avait pleine confiance en allant dans la baston, ce n'était peut-être pas le cas de tout le monde. Cette confiance vient-elle aussi du fait que parmi les nouveaux bateaux, Virbac-Paprec 3 est celui qui a le plus navigué, donc qui est peut-être le plus fiabilisé ? Ça a joué, mais il y a aussi la psychologie des mecs. Tu sors de deux ou trois dépressions violentes, tu n'as qu'une envie, c'est de retrouver le soleil. Et du coup, tu prends des décisions peut-être un peu biaisées, parce que, honnêtement, je ne vois pas trop ce qu'ils sont allés faire là-bas. Au niveau performances, on n'a jamais pensé que ça passait, donc ça s'est joué sur d'autres critères. Des mecs comme Safran (Marc Guillemot-Yann Eliès) ou Kito (de Pavant sur Groupe Bel), eux aussi, ils ont confiance dans leur bateau, ils n'arrêtent pas de dire qu'ils ne veulent pas reporter le départ, ça veut dire qu'ils ont confiance. J'ai été surpris qu'ils n'y retournent pas comme nous. Je pense que c'est un peu psychologique et qu'il y a eu un peu de fatigue de leur part. Justement, où en êtes-vous physiquement au terme de cette transat courue dans des conditions musclées, très fatigué ? Oui, c'est sûr, il y a de la fatigue physique. Il commence à faire chaud, donc ça transpire beaucoup. On a essayé de ranger un peu le bateau, mais c'est vraiment sommaire, par contre, on s'est vraiment reposés, on s'alimente bien et on boit bien. Et au niveau du moral, pas la peine de vous dire qu'on est vraiment à bloc. On est prêts à attaquer cette dernière partie avec du moral et le bateau à 100%. Au niveau état d'esprit, on est vraiment à fond, on essaie d'attaquer jusqu'à la fin. "Tu es forcément hyper fier" On a l'impression que vous vous êtes bien trouvés avec Jean-Pierre Dick, on se trompe ? Jean-Pierre, c'est un attaquant ! Des fois, il ne réfléchit pas, il dit "On y va !" et puis voilà ! Moi, je calcule peut-être un peu plus. C'est un vrai attaquant dans le sens où il est dur au mal et où il analyse vite, c'est agréable d'être avec un gars comme ça. Alors oui, on s'est vraiment bien trouvés dans la motivation, dans l'engagement, dans le côté un peu opiniâtre, les deux caractères se sont bien assemblés. Avez-vous éprouvé du plaisir à évoluer ensemble ou la difficulté de la course prend-elle le dessus ? On prend un peu de plaisir parce que ce que l'on fait marche, mais il n'y a pas beaucoup de moments en commun ni de moments de répit. Les moments de complicité existent par le déroulement de la course, on n'a pas le temps de se faire des confidences au clair de lune. Les conditions ont toujours été soutenues depuis le début. Quand tu rends ton quart, que tu as raconté ce que tu avais à raconter au niveau des performances du bateau et de la stratégie, tu es content d'aller te mettre au sec à l'intérieur, de te faire à manger et de dormir. Mais ça se passe très très bien, pourvu que ça continue ! Vous avez gagné la Solitaire cet été pour la deuxième fois, vous vous apprêtez à remporter votre première grande course en Imoca, vous imaginez ce que ça va représenter ? Je n'aime pas trop voir les victoires avant qu'elles soient faites... Mais ce que je peux dire, c'est qu'être en tête de cette façon d'une course en Imoca, ça me fait quelque chose, ça me fait vraiment du bien. Tu te dis que cet été, tu as été capable de dominer sur un autre support, le Figaro, en solitaire, que tu es ensuite capable de dominer en double sur une transatlantique sur un Imoca, tu es forcément hyper fier. La Solitaire du Figaro, c'est hyper important dans le palmarès, hyper prestigieux, mais c'est pas mal d'accrocher une transat aussi... C'est tout le mal que je me souhaite pour les deux jours à venir. Je serais le plus heureux des hommes si ça pouvait arriver. On imagine que cette Jacques-Vabre vous donne plus que jamais envie de faire le Vendée Globe ? (Soupir). Ouais... qu'est-ce que vous voulez que je vous dise... Donnez-moi un bateau comme celui-là sur le Vendée et je saurai quoi en faire !