Terrorisme : "les services de renseignement américains sont noyés sous une quantité d’informations"

Explosion à New York
Une bombe dissimulée dans une poubelle a fait 29 blessés légers. © KENA BETANCUR / AFP
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Caroline Politi , modifié à
Ahmed Khan Rahami, soupçonné d’avoir posé des bombes dans le New Jersey et à New York, avait déjà été signalé au FBI en 2014. 
INTERVIEW

Moins d’une semaine après les commémorations d’hommage des quinze ans de l’attaque du World Trade Center, une série d’attentats, plus ou moins aboutis, ont frappé les Etats-Unis. Samedi matin, d’abord, une bombe artisanale dissimulée dans une poubelle a explosé dans le New Jersey. L’engin était visiblement programmé pour exploser au passage d’une course à pied mais le départ ayant été retardé, l’attentat n’a fait aucun blessé. Le soir même, une seconde explosion a retenti en plein cœur de Manhattan, à New York. La bombe cachée dans une poubelle a fait 29 blessés légers. Mais le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd : huit autres bombes n’ayant pas fonctionné étaient dissimulées. Au même moment, un homme vêtu d’un uniforme d’agent de sécurité a poignardé huit personnes dans un centre commercial du Minnesota, dans le nord des Etats-Unis, avant d’être abattu par un policier. Elle a été revendiquée par l'Etat islamique. Les deux attaques n'ont, a priori, aucun lien.  

Si l’efficacité de la police a été saluée, les services de renseignement ont été pointés du doigt. Le FBI a confirmé mardi avoir mené une enquête sur Ahmad Khan Rahami, soupçonné d’être le poseur de bombes de New York et du New Jersey. L’homme, inculpé pour plusieurs attaques avec une arme de destruction massive, avait été signalé par son père dès 2014. A l'époque, le FBI avait "consulté ses bases de données, fait des vérifications administratives et mené des interrogatoires, et n'a trouvé aucune indication de liens avec le terrorisme", a-t-il indiqué dans un communiqué. Comment le djihadiste présumé est-il parvenu à passer entre les mailles du filet ? Les services secrets américains ont-ils été dépassés par cette vague d’attaques ? L’analyse d’Alain Bauer, professeur en criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Les services de renseignement américains sont considérés comme les plus performants au monde. Pourquoi n’ont-ils pas pris la menace au sérieux ?

La politique actuelle de "tout savoir sur tout le monde" noie les services de renseignement sous une quantité invraisemblable d’informations qu’ils ne savent pas toujours analyser et hiérarchiser. Concrètement, ils ont des oreilles partout mais ne comprennent pas toujours ce qu’ils entendent ! Il y avaient pourtant des signes qui auraient pu éveiller leurs soupçons dans cette affaire. Il a, semble-t-il, fait plusieurs voyages en Afghanistan et au Pakistan. Et quand un père signale son fils en tant que possible "terroriste", on peut imaginer que ses soupçons sont étayés.  

Les djihadistes sont-ils mieux formés à cacher leur trace ?

Récemment, les djihadistes se sont massivement inscrits sur Telegram pour tenter de déjouer la surveillance des services de renseignement. Mais les arrestations, en France, de proches de Kassim prouvent que le réseau n’est pas inviolable. D’une manière générale, les individus totalement invisibles et qui agissent dans leur coin sans en référer à personne sont rarissimes. Après chaque attentat, on se rend compte de la multitude de ramifications, des liens entre les uns et les autres. La difficulté dans le contre-terrorisme n’est pas "technique" mais d’analyser les signaux avant le passage à l’acte.

Le même week-end, un autre attentat a eu lieu dans le Minnesota, faisant huit blessés. Contrairement à l’attentat de New York, celui-ci a été revendiqué par l’Etat islamique. Les services de renseignement sont-ils débordés par la multitude de menaces ?

Les Etats-Unis ont toujours su qu’ils étaient une cible de l’Etat islamique. Après les attentats de Paris, l’organisation avait explicitement dit qu’elle visait Washington. Et beaucoup d’attentats ont été évités ces derniers mois. Mais la difficulté de lutter contre l’Etat islamique vient du fait que c’est un réseau de plus en plus décentralisé. Les lions du Califat, c’est-à-dire les réseaux structurés, presque professionnels, de l’Etat islamique ont pour une bonne partie été démantelés. Ils font donc appel à des "sous-traitants", les soldats du califat, qu’ils recrutent notamment via les réseaux sociaux. Cette diversité de profils rend donc plus difficile la lutte contre le terrorisme et, comme dans n’importe quel pays, la culture du renseignement doit évoluer pour s’adapter à cette évolution.

Est-ce plus difficile d’identifier les cibles ?

L’Etat islamique ne cherche pas forcément à faire un attentat symbolique majeur comme l’a fait Al-Qaïda le 11 septembre 2001. S’ils peuvent en faire un, ils le feront, mais ils ne se limitent pas à cela. L’objectif est avant tout à créer un climat de terreur. Peu importe le nombre de victimes, le lieu ou les moyens utilisés. Peu importe même que l’attentat réussisse ou non. Ce que veut l’organisation avant tout, c’est prouver que personne n’est à l’abri. Que l’on fasse ses courses dans un centre commercial ou que l’on soit dans la rue.  Ils visent tout le monde, tout le temps.