Sa mère et son frère se sont suicidés : "Je me suis construit dans le suicide"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Hugo avait 7 ans quand sa mère s’est suicidée. Il en avait 24 quand son frère a mis fin à ses jours. Il se confie sur la façon dont il a éprouvé ses deuils particuliers. Au micro de "La Libre antenne", sur Europe 1, il évoque la culpabilité ressentie et le besoin de pardonner à celui qui s’est suicidé.
TÉMOIGNAGE

Hugo a vécu deux suicides dans sa famille, celui de sa mère quand il avait sept ans et celui de son frère quand il avait 24 ans. Il raconte la façon dont il a éprouvé ses deuils, évoquant les questions sans réponses, la culpabilité et le besoin de pardonner à celui qui s’est suicidé. En tant qu’enseignant, il dit être davantage enclin à percevoir le mal-être de ses élèves. Au micro d’Olivier Delacroix, sur "La Libre antenne" d’Europe 1, Hugo se confie sur le deuil éprouvé à la suite du suicide d’un proche.

" La question du suicide me concerne parce que ma mère s’est défenestrée quand j’avais sept ans. Par la suite, mon grand frère s’est jeté sous un train quand j’avais 24 ans. Je ressens souvent que le suicide est tabou. Il y a tout de suite une distance qui se crée entre l’interlocuteur et celui qui en parle. Avoir des idées suicidaires, c’est tabou. Parler d’une personne suicidée, c’est tabou. La personne proche de suicidé a honte pendant très longtemps. 

Ma mère s’est suicidée le jour de ma rentrée en CE1. Je suis professeur d’ailleurs, donc toutes les rentrées sont particulières pour moi. On ne trouvera jamais vraiment de causes, mais il y a eu des catalyseurs et des facilitateurs. Mon père avait une personnalité profondément toxique qui a poussé sa conjointe à commettre l’irréparable, bien qu’elle eût deux enfants. Elle s’est défenestrée quand j’avais sept ans et mon frère allait en avoir 12. Bien des années plus tard, mon grand frère a développé une schizophrénie. Il a été interné à l’hôpital psychiatrique de Rennes. 

" Je vois le suicide comme un immense gâchis "

Pour vivre le suicide depuis 35 ans dans mes chairs, je le vois comme un immense gâchis, en tout cas pour ceux qui restent. Pour celui qui est parti, peut-être était-ce la seule solution. Mais pour ceux qui restent, il y a toujours une boule qui se forme dans la gorge, avec cette sensation d’immense gâchis et une culpabilité sans nom. La culpabilité mène à des pratiques autodestructrices, une dépression ou une remise en cause du sens de la vie. Au mieux, on peut être bloqué et avoir une capacité à se projeter relativement faible. 

L’endeuillement par suicide est très particulier. Le suicide, c’est multifactoriel. Pour préférer la mort à la vie avec ce qu’elle peut avoir de plus beau, pour préférer un suicide à un éloignement total de son conjoint, pour préférer ça, il faut arriver à un stade de souffrance qu’on ne comprend pas. C’est une souffrance que beaucoup de gens partagent pourtant, puisqu’il y a 100.000 tentatives de suicide par an en France, c’est-à-dire une toutes les six minutes. 

" Le suicide vous poursuit toute une vie "

Le suicide m‘a travaillé parce que je me suis aperçu qu’il vous poursuit toute une vie. Il m’a happé dès que j’avais 7 ans et demi, je me suis construit dedans. À partir de ce moment-là, on voit beaucoup de choses à travers ce prisme. Il y a beaucoup de choses qu’on essaye de rejeter ou de mettre de côté, mais en même temps ça revient. Je suis enseignant. J’ai eu une élève dont la grande sœur s’était suicidée. Ça m’a fait tomber en dépression. Quand je suis reconfronté à des scènes de suicide, ça me fait un plus grand choc qu’à d'autres. 

Un jeune qui se suicide a peut-être envoyé des signaux. Il y aura toujours des gens pour repérer un enfant en difficulté, mais on ne peut jamais empêcher quelqu'un de commettre l'irréparable. En tant que professeur ayant vécu deux suicides dans ma famille, je repère tout de suite le mal-être chez certains élèves. Peut-être que j’ai plus d'antennes que d'autres et que j'aurais moins de tabous à en parler à un gamin. C’est à chacun d’essayer, sans être psy, de capter le mal-être, des allusions, des comportements et tout un faisceau d'indices plus ou moins tangibles. 

 

J’ai écrit un livre intitulé Survivre au suicide ou Sisyphe heureux. J'espère que ce livre saura trouver un écho chez certains. C’est un livre que j'ai voulu comme un calmant, un livre apaisant pour les gens qui ont vécu un deuil par suicide. C’est pour leur donner quelques clés sur les questions de la culpabilité et de la quête du pardon, parce qu'il faut pardonner à quelqu'un qui s'est suicidé. Il faut lui pardonner d'être parti et de nous avoir laissé avec ces questions sans réponses. Il faut savoir reconsidérer l'acte sans avoir envie d'y succomber soi-même parfois. "