QI, langage, comportement : les effets de la surexposition aux écrans chez les enfants

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Les écrans sont connus pour avoir des effets délétères sur les plus jeunes lorsqu'ils sont surconsommés. Mais les conséquences sont plus graves encore qu'on le suppose, comme l'a expliqué Anne-Lise Ducanda, médecin spécialiste du sujet, mercredi dans l'émission "Bienfait pour vous" sur Europe 1.

C'est l'une des principales préoccupations des parents, bien conscients que cette activité n'est pas la meilleure pour leur progéniture : limiter le temps passé devant les écrans. Dans l'émission "Bienfait pour vous" sur Europe 1, ce mercredi, la Dr Anne-Lise Ducanda, médecin de protection maternelle et infantile (PMI) et autrice des Tout-petits face aux écrans (éd. du Rocher), a rappelé à quel point télévision, téléphone, ordinateur et tablettes avaient un effet délétère sur les jeunes générations. Et donné quelques conseils pour s'en passer.

95% des enfants en difficulté sont surexposés aux écrans

Car si les écrans ont déjà mauvaise réputation, sûrement sous-estime-t-on encore le mal qu'ils peuvent causer sur le développement de l'enfant. "Je me suis vraiment alarmée vers 2012", raconte la médecin, qui fait régulièrement des visites de dépistage dans les crèches et les écoles pour observer les bambins, parfois sur demande du personnel encadrant. "J'ai eu un afflux, lentement mais sûrement, d'enfants en difficulté inquiétante."

Ce qu'il faut comprendre, explique la spécialiste, c'est que "le cerveau de l'enfant est programmé génétiquement pour parler, marcher, se concentrer. Mais ensuite, tout dépend de l'environnement." Et, dans le cas des jeunes en difficulté, "je me suis rendue compte que 95% d'entre eux étaient surexposés aux écrans".

Le cerveau des plus jeunes se développe "en fonction des expériences que va faire l'enfant, mais seulement si ces expériences sont dans le monde réel, en trois dimensions", insiste Anne-Lise Ducanda. Autrement dit, "ce qu'il voit, il faut qu'il le touche, qu'il bouge son corps." Pour développer la motricité des mains par exemple, "il faut que les enfants aient des expériences de geste : porter, appuyer, glisser, pousser." 

Troubles du langage et baisse du QI

Dès lors, devant les écrans, le cerveau des plus petits "va être privé de sa nourriture essentielle : interagir avec les humains, en premier lieu les parents, et découvrir le monde avec tous les sens combinés". L'enfant ne va, par exemple, pas faire de gestes. "Les connexions cérébrales ne se font pas et, pire, le bombardement du tout-petit par les shoots visuels et sonores des dessins animés créeraient de mauvaises connexions cérébrales qui remplaceraient les bonnes", avertit la médecin.

Les troubles qui se manifestent sont variés. Au niveau du langage par exemple, "un enfant ne peut apprendre à parler que si un humain lui parle face-à-face. Avec les écrans, l'enfant va répéter sans mettre de sens dans les mots. Quand c'est à travers un écran, les mots ne captent pas, ne veulent rien dire", détaille Anne-Lise Ducanda. Les jeunes n'apprennent donc pas, ou très lentement, à parler, et leur vocabulaire s'appauvrit. "Il y a plus de 5.100 études qui montrent le lien entre écran et retard intellectuel", poursuit la médecin. "L'Inserm en juin a montré que les enfants qui ont souvent la télé à table ont une baisse de QI de trois points."

"On a des enfants de trois ans qui n'attrapent pas un stylo"

Les troubles se retrouvent aussi dans la capacité d'interaction de l'enfant. Certains au niveau de la relation et de la communication peuvent même être confondus "avec des syndromes autistiques", alerte Anne-Lise Ducanda. Du côté de la motricité fine, le constat de la spécialiste est alarmant : "On a des enfants de 3 ans qui n'attrapent pas un stylo parce qu'ils ne font pas assez de gestes."

Enfin, au niveau de la vision aussi, les conséquences sont délétères. "Cela favorise la myopie car l'enfant n'est pas assez à l'extérieur. Dans certains pays asiatiques, on a 90% d'enfants myopes, alors qu'il s'agit au départ d'une maladie génétique." En outre, "la lumière bleue est toxique pour la rétine. On va avoir une épidémie de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) chez des gens de 40 ans, alors que cela arrive normalement chez le vieillard de 90 ans."

Une bonne nouvelle dans ce marasme, toutefois : beaucoup des conséquences néfastes des écrans sont réversibles. "Le cerveau de l'enfant est très plastique", des progrès peuvent intervenir immédiatement dès que le temps d'écran diminue. Même chose chez les adolescents. "Un trouble de concentration à 14 ans peut disparaître en trois semaines si vous limitez les écrans à 6h/semaine", explique la médecin.

Des consignes pour limiter le temps d'écran

Les consignes d'Anne-Lise Ducanda sont d'une rigueur proportionnelle à la noirceur du tableau. "Il ne faut aucun écran de 0 à 2 ans", assène-t-elle. "Après, les études montrent que c'est délétère à partir de 15 minutes par jour. Je préconise donc 30 minutes les mercredi, samedi et dimanche seulement de 2 à 6 ans." L'idéal restant d'arriver à faire encore moins. "Il faut donner de bonnes habitudes dès le début, il faut des règles", poursuit la spécialiste, fervente amatrice des contrôles parentaux et qui estime judicieux, par exemple, de mettre un chronomètre et de s'y tenir.

Pour les familles avec des enfants d'âges différents, pas question de laisser les petits profiter des largesses accordées aux grands. "C'est difficile à gérer", reconnaît la spécialiste, mais on peut par exemple autoriser un adolescent à regarder les écrans lorsque son petit frère ou sa petite sœur fait la sieste ou se trouve hors du domicile. Et si Anne-Lise Ducanda est bien sûr contre la présence d'écrans dans la chambre, mieux vaut quand même ça plutôt qu'un écran que tout le monde regarde dans le salon indépendamment de son âge.