Prison : comment encadrer la surveillance des détenus sensibles ?

Un projet d'arrêté étend les possibilités de vidéosurveillance pour certains détenus
Un projet d'arrêté étend les possibilités de vidéosurveillance pour certains détenus © RICHARD BOUHET / AFP
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Margaux Lannuzel
Le gouvernement élabore un arrêté qui permettra notamment d'encadrer la surveillance de Salah Abdeslam, grâce à des caméras.

 

Le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, l'avait indiqué fin avril, au moment où deux caméras étaient installées dans la cellule de Salah Abdeslam pour le filmer sans interruption : "La pérennisation éventuelle de cette mesure fera l'objet d'une étude complémentaire". Moins d'un mois plus tard, un projet d'arrêté du ministre de la Justice, qui a fuité dans la presse mardi, propose d'étendre considérablement l'utilisation de la vidéosurveillance en prison, afin de parer tout risque de suicide ou d'évasion.

  • Que prévoit la loi actuelle ?

Jusqu'ici, la loi française ne prévoit la mise en place d'un dispositif de "vidéoprotection" que pour les cellules "de protection d'urgence". Ces dernières sont équipées de caméras et accueillent les détenus "dont l'état apparaît incompatible avec leur placement ou leur maintien en cellule ordinaire en raison d'un risque de passage à l'acte suicidaire imminent ou lors d'une crise aiguë", précise un arrêté du 23 décembre 2014.

La durée de l'enregistrement dans ces cellules est limitée à 24 heures consécutives. Le texte indique également que la durée de conservation des données filmées ne doit pas dépasser un mois. "C'est un dispositif qui n'est pas forcément connu, mais qui est utilisé quand on a affaire à une personne qui est vraiment en crise suicidaire. Jusqu'à présent, c'était dans ce cadre_là", expliquait en avril le secrétaire général de FO-Pénitentiaire Jimmy Delliste, sur Europe 1.

  • Que propose l'arrêté ?

Comme l'arrêté de 2014, le projet de texte qui a fuité fait référence à un dispositif de "vidéoprotection" et non de "vidéosurveillance". Mais il concerne toutes les  personnes placées en détention provisoire et "dont l'évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l'ordre public eu égard aux circonstances particulières à l'origine de leur incarcération et l'impact de celles-ci sur l'opinion publique".

Les cellulles "de protection d'urgence" seraient donc remplacées par des "cellules de détention sous vidéoprotection". La décision de placement dans ces dernières serait prise "par le garde des Sceaux, pour une durée de trois mois, renouvelable." Quant à la durée de conservation des images filmées, elle resterait inchangée : au terme d'un délai d'un mois, "les enregistrements qui n'ont pas fait l'objet d'une transmission à l'autorité judiciaire ou d'une enquête administrative" seraient effacés.

Enfin le projet de décret prévoit que les "zones d'intimité de la personne prévenue" soient préservées par "la mise en place d'un paravent fixé dans la cellule, permettant la restitution d'images opacifiées", et qu'il n'y ait "pas d'enregistrement sonore". Le dispositif exceptionnel mis en place après le transfèrement de Salah Abdeslam excluait déjà de filmer le coin sanitaire de sa cellule.

  • Concerne-t-il seulement Salah Abdeslam ?

Depuis près d'un mois, le seul survivant du commando des attentats de Paris est détenu dans le quartier d'isolement de Fleury-Mérogis. "Nous avons des cellules spécifiques pour les détenus en crise suicidaire, donc nous avons adapté la cellule de cette manière-là", expliquait au micro d'Europe 1 Jean-François Forget, secrétaire général de l'UFAP-UNSA, premier syndicat de l'administration pénitentiaire, quelques jours avant le transfèrement de Salah Abdeslam. Ce texte, qui place la situation exceptionnelle de Salah Abdeslam dans un cadre juridique, semble donc taillé sur mesure pour le terroriste présumé.

Reste que le taux de suicide dans les prisons françaises est sept fois plus élevé que dans le reste de la population, et que les récentes morts en cellule de Yassin Salhi, qui avait décapité son patron à Saint-Quentin-Fallavier, et d'un ex-directeur d'école de Clairefontaine, soupçonné de pédophilie, ont fait débat. "Je suis en colère que ça se soit passé (...) Il y a des choses qui ne sont pas normales, quand on est en isolement", avait réagi la veuve du chef d'entreprise assassiné, sur Europe 1. A terme, il n'est donc pas exclu que les termes de "circonstances particulières" et d'"impact sur l'opinion publique" prévus par le décret permettent de surveiller d'autres prisonniers considérés comme "sensibles".