Martine, 65 ans, agricultrice, témoigne de ses difficultés quotidiennes : "je me prive de sortir et de manger pour mes animaux"

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Guilhem Dedoyard , modifié à
Martine est agricultrice en Normandie. Elle témoigne au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1 de ses difficultés quotidiennes face à l'hostilité de ses voisins, aux procédures administratives et à la précarité du milieu agricole qui l'empêchent de traiter ses animaux comme elle le souhaiterait.
TÉMOIGNAGE

Martine est éleveuse en Normandie, ses animaux sont sacrés pour elles. Elle vit seule dans la ferme de ses parents, qu'elle tient avec son frère. Incapable de dégager un salaire, elle vit avec un RSA de 300 euros qu'elle dépense principalement en nourriture pour ses bêtes. Dans la Libre antenne, au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1, Martine témoigne de ses difficultés quotidiennes face à l'hostilité de ses voisins, aux procédures administratives et à la précarité du milieu agricole qui l'empêchent de vivre sereinement et l'ont menée au burn-out. Voici son témoignage :

"J’en ai vraiment très gros sur le cœur de la façon dont maintenant on vit et de la façon dont on est peu et mal traités. C'est très difficile, j'ai beaucoup de mal à me défendre et on m’enfonce tout le temps, moi qui suis toute seule. Mes parents étaient Picards. Ils sont arrivés ici en 1952 (en Normandie, ndlr) mais ils n’ont jamais été acceptés. La ferme, c'était des briques par terre et pas d'eau. Ils ont beaucoup investi. Au bout de neuf ans, les propriétaires ont envoyé un congé à mes parents pour qu'ils s'en aillent. Ils ont trouvé un avocat, ils ont gagné mais il a fallu qu'ils achètent la propriété donc ils se sont saignés.

Et puis ça allait pas mal, ils arrivaient à faire fructifier un petit peu. Et mon papa est mort d'un AVC en 1970, on était tous très jeunes. Maman s'est battue pour conserver cette ferme, alors que tout le monde autour la voulait. On avait des vaches laitières, à tour de rôles les filles trayaient les vaches et on faisait du beurre, de la crème qu'on vendait sur le marché. On s'en sortait pas trop mal.

Entendu sur europe1 :
Ce n'était pas une vie agréable, mais je m’y plaisais

J’ai des bons souvenirs de mon enfance parce que c'était dur, ce n'était pas une vie agréable, mais presque, enfin je m’y plaisais. J’emmenais les vaches à cheval, et je passais la journée dans le pré. Mais bon la bagarre pour conserver la ferme, ça a été de pire en pire.

Je me suis lancée quand même dans le syndicalisme avec le parti des jeunes agriculteurs, j’étais la présidente dans mon canton. Je me suis battue pour le métier agricole. Mais il il y avait toujours des gens autour pour essayer de nous 'assassiner'.

Entendu sur europe1 :
Tout ce qu'on vend ça n'a aucune valeur

Et puis j'ai eu de la malchance. Notre vétérinaire me disait toujours : 'si un jour j'écris mes mémoires, je parlerai de vous'. Le seul cas de charbon qu'il a vu dans sa vie, c'est chez nous. Pareil pour le tétanos sur nos deux chiens. On a eu des bovins piqués par des vipères, une jument aussi.

'Ferme de malheur', comme disait maman. Elle est décédée en juillet, il y a 4 ans, et en janvier suivant, la maison brûle. J’ai tout perdu, mes souvenirs, les photos de mes parents, les affaires scolaires de ma fille, je dors dans un mobil-home.

J’ai des vaches allaitantes maintenant parce qu'il y avait des normes très contraignantes, sur les vaches laitières. Et donc il y a deux ans, l'année dernière, là je ne pouvais plus. Là, vraiment, j’en pouvais plus. J'ai fait comme une sorte de burn-out et je n'ai pas déclaré mes veaux, ce qui est interdit. Donc je n’ai pas le droit de les vendre sauf à la boucherie. Chose que je ne veux pas faire mais comme on a besoin d’argent, j’ai quatre génisses qui sont partie à la boucherie, parce que c’est la seule solution. 

On est complètement endettés. Tout ce qu'on vend ça n'a aucune valeur. On est assailli par toutes les démarches administratives et on n'a surtout pas le droit d'être malade.

Entendu sur europe1 :
 J'aime la nature, j'aime les animaux [...] et ça m'apporte les pires ennuis

Ma fille a pu faire des études, elle est d'ailleurs maintenant journaliste. Elle était même au Salon de l'agriculture. Moi cette année je n’y suis même pas allée, parce que j'ai une ponette qui est malade. Elle s’est fracturée le coude et pour moi, mes animaux, c'est sacré. J'aime la nature, j'aime les animaux, je suis parmi tout ce petit monde auquel je tiens et j'ai les pires ennuis. Mi-février, je dormais à côté de ma ponette dans le champ, j’avais une belle couverture, que je prenais avec moi, parce qu’il fait froid en hiver.

Mais des gens sont passés en voiture, ils ont alerté les services vétérinaires au lieu de venir me poser la question. Une femme est venue je lui ai dit : 'madame, je m'occupe de ma ponette, le veto voulait l'euthanasier, mais elle est sauvée’. Cette histoire de poney, ça a déclenché une histoire épouvantable. J'ai eu les services vétérinaires, j’ai été convoquée à la gendarmerie. Et vu que ma ferme n’est pas complètement aux normes, que mes poneys ne sont pas pucés, mes chiens non plus, alors que c'est obligatoire, j’ai eu des problèmes. Mais ça coûte cher. Je suis arrivé à 3000 euros de vétérinaire.

Maintenant ce sont les veaux. J’ai deux veaux qui sont intenables. Tous les jours, ils se sauvent et ils s’approchent des maisons. Et les gens ont dû porter plainte puisque les gendarmes sont venus me voir. Mon voisin n’arrête pas de se plaindre de mes oies qui font du bruit, de mes chiens qui aboient. Il a deux poules et il disait que ses poules avaient un quotient intellectuel aussi élevé que moi et mon frère.

Entendu sur europe1 :
Je n'ai pas de temps pour m'occuper de moi

J’ai fait deux sorties en un an, je n’ai pas de temps pour m’occuper de moi. Ce week-end, je me suis absentée samedi et dimanche parce que j'avais sur Paris le mariage d'un ami de ma fille. J'ai tout fait pour y aller. J'ai eu beaucoup de mal à cause des grèves, justement, des grèves de train, c'était la galère. J'ai réussi à y aller, j'ai pris un train à 11h20 samedi, j'étais debout à six heures du matin pour soigner les veaux avant de partir. Finalement, j'étais claquée, vraiment crevée.

L’autre, sortie que j’ai eu c'était à Noël dernier. J'ai fait l'aller-retour à Paris pour rejoindre ma fille et on est allé à la messe de minuit à la basilique Saint-Denis. Je suis revenue le lendemain. Voilà mes deux sorties de l’année.

Je suis engagée au niveau de ma paroisse. J'ai des amis comme ça, par la paroisse, mais ce ne sont pas des amis agriculteurs donc ils ne comprennent pas vraiment mes soucis. J'ai des soucis d'argent et je ne leur dis pas. Je pense qu'ils s’en rendent compte parce qu'il y a toujours une amie qui me dit ‘Ah tiens j'avais des chaussures qui ne m'allaient plu’ où ‘j’ai mis ça de côté pour toi’. Par contre, quand y a des repas, je m'arrange toujours pour dire je ne peux pas parce que je n’ai pas les moyens de payer.

Entendu sur europe1 :
Il faut être vraiment costaud pour résister

Je me prive de sortie, je me prive de manger pour mes animaux. J'ai un petit RSA - trois cents et quelques euros - donc il ne faut pas que je fasse un gros charriot de courses pour moi quand j'achète pour mes chiens. Mais je dois faire très attention à ce que je dis, parce que je ne voudrais pas qu'on croit que je n’ai pas les moyens d'avoir des animaux. Il faut être vraiment costaud pour résister, y a des jours ou je me dis que je vais capituler et je ne veux pas."