Les hauts magistrats dénoncent l'affaiblissement de la justice

En période d'état d'urgence, les assignations à résidence et les perquisitions administratives relèvent des tribunaux administratifs et du Conseil d'Etat.
En période d'état d'urgence, les assignations à résidence et les perquisitions administratives relèvent des tribunaux administratifs et du Conseil d'Etat. © DAMIEN MEYER / AFP
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Chloé Triomphe, Alain Acco, Pierre de Cossette et Thibauld Mathieu , modifié à
CRITIQUE - Les premier président de la Cours de cassation monte notamment au créneau contre l'affaiblissement de l'autorité judiciaire.

Le ton monte d'un cran.Déjà remontés contre la faiblesse de leurs moyens, les plus hauts magistrats de France - le premier président de la Cour de cassation et des Cours d'appel - publient pour la première fois une déclaration commune très solennelle, pour demander au gouvernement de garantir le rôle de l'autorité judiciaire en cette période d'état d'urgence.

Une prise de position "assez rare". "C'est assez rare, d'autant plus que là, ce sont les responsables de l'institution judiciaire qui s'expriment, y compris la Cour de cassation, donc c'est un message très, très important", relève Denis Salas, magistrat et directeur de la revue Les Cahiers de la Justice. "En période d'état d'urgence, où les libertés sont menacées, ils disent 'attention, ne continuons pas à développer les pouvoirs de la police, à porter atteinte à nos libertés. Faisons attention à ce que la place du juge soit garantie, notamment dans cette période'", explique-t-il.

Un transfert de compétences qui passe mal.Toutes les mesures rendues possibles par l'état d'urgence, comme les assignations à résidence ou encore les perquisitions administratives, ne sont pas contrôlées par les juges judiciaires. Ce sont les tribunaux administratifs et, au bout de la chaîne, le Conseil d'Etat qui en sont chargés. Le Conseil d'Etat est composé en grande partie d'énarques, passés parfois par des cabinets ministériels. Ce n'est donc pas la même culture judiciaire.

"Le recul du juge est toujours dangereux pour les libertés individuelles". "Le premier président envoie un message au président de la République, au gouvernement, aux politiques, en disant 'attention, respectez la Constitution face à un glissement sécuritaire de nos sociétés'. En Pologne, en Hongrie, à qui enlève-t-on les pouvoirs ? Aux juges. Autrement dit, le recul du droit, le recul du juge sont toujours dangereux pour les libertés individuelles", décrypte Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le communiqué a été voté lundi par une très large majorité. Dans cet univers très feutré de la haute magistrature, il est le signe d'une grande exaspération.