Journée internationale du baiser : pourquoi embrasse-t-on différemment en fonction des cultures ?

Le cinéma, notamment américain, a démocratisé le French kiss...qui n'est d'ailleurs pas français.
Le cinéma, notamment américain, a démocratisé le French kiss...qui n'est d'ailleurs pas français. © Neilson Barnard / AFP
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Aurélie Dupuy , modifié à
Insensé en pleine rue en Inde ou au Japon ou à l'inverse se pratiquant entre hommes sur la bouche en Russie, le baiser est multiple. N'en déplaise au 6 juillet, déclarée journée internationale du baiser.

Le baiser serait universel si l'on regarde le nombre de films, d'affiches, d'images que l'on connaît du baiser. Or, si le baiser est multiple (langoureux french kiss du cinéma, bises sur la joue, baisers ambigus tels le baiser de Judas ou le baiser du diable, ou encore baiser esquimau nez contre nez), il est aussi loin d'être universel. A l'inverse de ce que pourrait laisser croire ce 6 juillet, journée internationale du baiser.

L'impossible toucher. Dans beaucoup de sociétés humaines, toucher le visage de l'autre est impensable, tranche David Le Breton, anthropologue, spécialiste des questions du corps*. En Inde par exemple, lorsque l'on voit une scène de film français où des personnages sont montrés bouche contre bouche, "les Indiens éclatent de rire. C'est insensé, pas du tout dans leurs manières", explique-t-il. Même état de fait au Japon, où il est très mal vu d'échanger un baiser en pleine rue ou encore au Maghreb, où un homme et une femme qui ne se connaissent pas ne pourront pas s'embrasser pour se saluer. "En Afrique noire, des récits ont montré le réel dégoût qu'inspiraient les blancs qui s'embrassaient", ajoute Alexandre Lacroix, directeur de Philosophie Magazine

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Pas qu'une étreinte passionnée. Mais le baiser n'est pas toujours qu'une étreinte passionnée ou un signe d'affection. Il prend aussi un rôle "de rite d'entrée et de sortie d'une interaction", souligne David Le Breton, pensant en cette période de Tour de France aux coureurs qui vont recevoir un baiser lors des victoires d'étape. "Il s'agit plutôt alors d'un baiser de célébration, de récompense". Un signe que l'on retrouve également quand un président remet une décoration à des artistes ou à des militaires, souligne le spécialiste.

Le baiser est aussi un salut et les moyens sont divers en la matière : "les hommes échangent volontiers une poignée de main plus ou moins virile", décrit l'anthropologue qui énumère des différences de genre, mais aussi des variations régionales : on se fait une bise, deux, voire quatre en fonction de la région où l'on se trouve. Les baisers diffèrent aussi plus largement en termes d'espaces géographiques. Le baiser dit à la russe, de plus en plus mis au ban d'une société traversée par la persécution des homosexuels, était caractérisé par un smack sur les lèvres entre personnes de même sexe. "Ces différences s'expliquent par les différences culturelles, la manière dont les différents groupes se sont organisés au cours de l'Histoire", expose David Le Breton.

Le baiser, signe d'égalité. L'Histoire du baiser a justement été une grande découverte pour Alexandre Lacroix. Alors que son épouse lui faisait la remarque qu'il ne l'embrassait pas assez, le journaliste se plonge dans le sujet. Il parcourt alors la filmographie du baiser, se rend compte de l'ampleur de la question et en tire un essai : Contribution à la théorie du baiser (éditions J'ai lu). Le French Kiss a beau être LE baiser par excellence, l'Histoire ne peut que rappeler que la réputation des French lovers est bel et bien usurpée. 

Entendu sur europe1 :
On n'embrasse ni l'esclave ni la prostituée. 

Parce que les Français n'ont rien inventé. Tout au plus, ils ont hérité. "Le baiser est une invention des Romains", assure-t-il, expliquant que ceux-ci avaient mis en place une codification. Le basium, d'abord, était ainsi un baiser sur la bouche - entre père fils ; mère et fille - qui signifiait que l'on appartenait à une même famille. Il y avait aussi l'osculum, sur la bouche, sans la langue, entre sénateurs par exemple. Un baiser "civil" qui renvoie également à un sentiment d'égalité. Et enfin, le bien nommé suavium était le baiser des amants avec la langue.

Dans cette trilogie, "on n'embrasse ni l'esclave ni la prostituée", précise Alexandre Lacroix, personnages éloignés de la proclamation d'égalité que signifie l'acte d'échanger un baiser. Un deuxième apprentissage vient de l'Histoire cette fois chrétienne, souligne le journaliste. "Plusieurs des épîtres de Saint-Paul se terminent par l'expression Saint-Baiser". Un vocable qui se rapproche de celui de la Sainte-famille. Il y a alors dans le baiser l'idée que l'on "croit en l'amour, à quelque chose qui dépasse, traverse".

Nouvel universel. Ces notions sont portées par le baiser occidental, en plus de celle du plaisir, qui se retrouve dans d'autres sociétés, sous la forme de caresses notamment. Ce sera par exemple l'érotisme illustré dans le Kama Sutra. Mais cette vision-là appelle un monde de l'intime qui n'est pas exposé comme fait social. Le baiser sur toutes les bouches est nouveau, signale Alexandre Lacroix : "La mondialisation du baiser n'est que très récente avec le cinéma hollywoodien".

 

*Auteur de Tenir - douleur chronique et réinvention de soi.