Jeux de société : comment fabrique-t-on un hit de Noël ?

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Derrière le Père Noël, il y a des créateurs de jeux qui ont fait de leur passion un métier. © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Les jeux stars qui vont garnir le pied du sapin le 24 décembre ne sortent pas de la hotte du Père Noël mais bien de l’esprit de créateurs passionnés.

Les catalogues ont été envoyés, les pubs ont envahi la télévision, les enfants ont écrit leur lettre au Père Noël : les parents n'ont plus qu’à remplir leur hotte des jeux et jouets qui feront briller les yeux des enfants le 25 décembre au matin (ou le 24 au soir, il y a deux écoles). Trois semaines pour faire en sorte que Noël soit une nouvelle fois inoubliable. Un but que partagent également les créateurs et les éditeurs de jeux. Mais pour eux, la course a commencé il y a des mois, voire des années. Plongée dans les coulisses de l’atelier du Père Noël.

Se faire plaisir. "Il n’y a pas de mystère, pour qu’un jeu marche, il faut y mettre de l’âme". Dit comme ça, la recette d’un "hit" n’a pas l’air bien compliquée. Et les jeunes éditeurs seraient bien avisés de la suivre puisqu’elle est donnée par Laurent Lévi, co-créateur en 1988 d’Abalone, célèbre jeu de plateau qui s’apparente aux dames et aux échecs, mais avec des petites boules noires et blanches. Comme d’autres avant et après lui, Laurent Lévi a résolu la complexe équation du jeu à succès, à savoir plaire à la fois à l’auteur, à l’éditeur et au joueur. "Nous sommes les premiers joueurs de nos propres jeux. Donc on crée les jeux qu’on aime et cela se ressent", appuie-t-il.

" Nos jeux sont conçus de 18 mois à deux ans à l’avance "

Si la notion de plaisir est omniprésente, le parcours de création de certains jeux est souvent long et semé d’embuches, en particulier pour ceux basés sur un concept original. "Nos jeux sont conçus de 18 mois à deux ans à l’avance", confie Laurent Cochet, directeur marketing de Ravensburger, éditeur qui propose cette année plusieurs nouveautés comme Break Free, où il faut s’enlever une paire de menottes, et Watizit, sorte de Pictionary où il faut dessiner des interdictions loufoques. Des jeux qu’il a fallu créer de A à Z, de l’idée aux règles en passant par les accessoires.

"Espionner" les cours de récréation. A une époque où les modes passent (et trépassent) à quelques mois d’intervalles, cette méthode de conception au temps long semble dépassée. Et pourtant, elle fait toujours ses preuves puisque chaque année, jeux de société, poupées, figurines et autres jouets se taillent une belle place au pied du sapin. "Il y a toujours un pari mais nous sommes confiants pour Noël. C’est un peu comme la ‘glorieuse incertitude du sport’ mais avec des jeux", juge Laurent Cochet, tout sourire à l’approche des fêtes.

Évidemment, il ne s’agit pas uniquement de chance et de pari sur l’avenir. Chez les "gros éditeurs", Noël est une affaire prise très au sérieux pour réussir in fine le coup parfait. "On analyse les tendances dans les cours de récréation, on parle avec les parents, on organise des groupes de réunion", détaille Laurent Cochet. De quoi établir une liste de tendances durables et lancer des projets, menés par des auteurs et des designers, qui aboutiront plusieurs mois plus tard.

S’emparer d’une tendance. Asmodée fait partie de ces éditeurs qui ont réussi à capter l’ère du temps en misant sur les "escape game". Non pas en développant sa propre version des pièces dont il faut sortir en résolvant des énigmes, mais en adaptant le concept en jeu de société. Asmodée distribue donc depuis le début de l’année Unlock, une série de jeux de carte liés à une application mobile avec des scénarios à tiroirs et des casse-têtes plus ou moins complexes. "Je suis un grand fan des ‘escape room’ et dès que je suis sorti de la première que j’ai testée, je me suis dit : ‘on peut en faire un jeu de société’", raconte Cyril Demaegd, auteur d’Unlock.

" C’est parce que Jungle Speed est resté le même qu’il est toujours populaire "

"J’ai réfléchi à des façons de retranscrire cette activité interactive pour y jouer chez soi et finalement l’idée est venue toute seule, un matin alors que j’étais à peine réveillé. J’ai vu une carte avec une porte et le numéro 15 et une autre avec une clé et un 10. Les deux s’additionnaient pour donner une nouvelle carte avec un 25 et la pièce dans laquelle on entrait. J’ai écrit la première mouture du jeu en une heure, ce qui est plutôt bon signe", se souvient Cyril Demaegd. Ce passionné de jeu, devenu auteur en autodidacte, étoffe ensuite son concept, ajoute des règles, des mécanismes, le principe du guidage sur smartphone… Huit mois après son épiphanie, la première édition d’Unlock était en magasin, juste à temps pour Noël 2016. Le jeu est un succès immédiat et depuis, plusieurs autres énigmes ont vu le jour, avec une nouvelle salve prévue pour cette fin d’année.

Transmettre entre générations. Capter l’ère du temps est une chose, parvenir à s’inscrire dans la durée en est une autre. Rares sont les jeux qui se frayent un chemin à travers les décennies, résistant aux modes des cours de récréation. Parmi eux, le Jungle Speed fait presque office d’ancêtre. Le jeu de rapidité au totem immédiatement identifiable a été créé en 1991 par deux Français. Un quart de siècle plus tard, son succès ne se dément pas. "C’est très gratifiant et en même temps surprenant car le jeu n’a que peu évolué au fil des ans, à l’exception des extensions", se réjouit Thomas Vuarchex, l’un des deux auteurs. "En fait, c’est justement parce que Jungle Speed est resté le même qu’il est toujours populaire. C’est un jeu simple à comprendre et encore plus simple à jouer."

Faire simple pour toucher un public le plus large possible (les fameux "7 à 77 ans"), c’est peut-être bien la formule définitive du succès durable. "La transmission entre les générations est essentielle", confirme Laurent Lévi, le créateur d’Abalone. "Même si on a un concept de base qui ne peut pas bouger, il faut continuer encre et toujours à travailler l’ADN du jeu, se demander : ‘Pourquoi ça intéresse les gens ?’." Cette question, tous les éditeurs se la sont forcément posées au cours des derniers mois. Comme chaque année, la bataille de Noël fait rage et chacun espère imposer ses jouets. Avec comme juges de paix de mois de travail, le bruit du papier cadeau déchiré à la hâte et les cris de joie des enfants.