En Seine-Saint-Denis, les "sueurs froides" de la protection judiciaire de la jeunesse confinée

Dans les centres éducatifs fermés, les habitudes de jeunes en manque de repères ont été bouleversées par l'épidémie de coronavirus (photo d'illustration). © AFP
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Salomé Legrand, édité par Margaux Lannuzel , modifié à

Chaque année, près de 140.000 mineurs délinquants sont confiés à la protection judiciaire de la jeunesse en France. C’est l’un des services publics méconnus qui a continué à fonctionner malgré le confinement. Europe 1 s’est penché sur le travail de ces éducateurs, dont les missions indispensables ont parfois du évoluer face à la crise. 

"On a eu des sueurs froides, on a été sur le pont 24 heures sur 24, mais le service public et le lien éducatif ont été maintenus". Après près de deux mois de confinement, Jean-Christophe Brihat, directeur territorial protection judiciaire de la jeunesse en Seine-Saint-Denis, souffle. Ses équipes prennent en charge près de 4.000 jeunes par an, soit 1.700 au quotidien dans différents types de structures : des centres de formation et de réinsertion, des foyers d’hébergement, mais aussi des centres éducatifs fermés (CEF) et les quartiers pour mineurs des prisons. Autant de profils dont il n'était pas question d'abandonner le suivi, malgré la crise sanitaire du coronavirus

Des retours en famille, mais strictement encadrés

Avec "comme boussole la conciliation de l’impératif sanitaire et le maintien de la mission éducative", tout a été réorganisé, grâce à une bonne dose "d’innovation et d’entraide", comme en est capable ce département par ailleurs si problématique. Structure par structure, les prises en charges ont été adaptées.

Au centre pénitentiaire de Villepinte, le quartier mineur de 40 places n’accueille ainsi plus que 30 jeunes détenus. Dans les centres et foyers, "on est passés de 10 à 12 jeunes à 5 à 8 maximum, avec, pour chaque retour en famille, une réflexion de l’équipe pluridisciplinaire et l’accord écrit du magistrat" détaille le responsable territorial. Et un lien maintenu coûte que coûte, à raison parfois d’un appel quotidien et avec la possibilité pour les familles ou le jeune de joindre un un interlocuteur 24 heures sur 24. 

Certains jeunes ont dû être accueillis à nouveau dans des structures, soit parce que "ça ne tenait plus" au bout de 15 jours, pour diverses raisons - "confinement trop compliqué, cohabitation limite, fragilités psychologiques" - soit, dans un cas, après le décès d’un des parents du Covid-19.

"Si on ne s’occupe pas d’eux, ils s’occupent de nous !"

Au sein des foyers et centre éducatifs fermés, le confinement a bouleversé des habitudes indispensables. "L’enjeu a été de maintenir un rythme et des activités", explique Jean-Christophe Brihat. "Si on ne s’occupe pas d’eux, ils s’occupent de nous !", abonde, tout sourire, Yasmine Bouthkili, directrice d’un centre éducatif fermé, pour qui "l’oisiveté est synonyme de possible passage à l’acte ou de fugue".

 

Le département a dû faire avec des effectifs d’encadrement réduits de 30%, entre vulnérabilité médicale pour certains et nécessité de garde d’enfants pour d’autres. Une vingtaine d’éducateurs du milieu ouvert ont été mobilisés en renfort au sein des hébergements spécialisés, sur la base du volontariat. Deux éducatrices et le cuisinier du food truck, habituellement consacré aux ateliers d'insertion, ont dû préparer les repas du centre éducatif fermé, dont les cuisinières étaient tombées malades. 

"Au départ, certains avaient des jeux un peu malsains : 'si on vous souffle au visage, on peut vous mettre en danger alors que nous on ne craint rien'", reconnaît Jean-Christophe Brihat. Mais le décès d’une adolescente de 16 ans, au début de l'épidémie, a mis fin à ces comportements du jour au lendemain. "Finalement, ce confinement permet de mettre les jeunes et les adultes au même niveau : vous êtes privés de liberté par votre contrôle judiciaire, mais finalement vous vous trouvez dans la même situation que tous les Français et même tous les citoyens dans le monde entier", relève de son côté Yasmine Boutkhili.

"Ça a ressoudé les liens entre les jeunes et l’équipe, on n’est pas confronté à des refus d’activités (comme c’est régulièrement le cas en temps normal, ndlr) et il y a même de l’empathie qui est née chez certains", note-t-elle.

Des bracelets et un porte-clefs pour les soignants

Au sein du CEF, deux activités avec un intervenant extérieur ont été maintenues, dont la maroquinerie, qui suscite un engouement inattendu. A leur demande, les jeunes ont fabriqué des bracelets et des porte-clefs en cuir gravé d’un "merci" à l’intention des personnels soignants.

"On regardait la télé, on a vu une émission sur les personnels hospitaliers, la galère dans laquelle ils étaient, on s’est senti notre devoir de citoyen de faire cela. On a voulu leur rendre grâce", raconte à Europe 1 Yanis*, 15 ans. Le jeune homme, en CEF après deux ans de détention pensait "profiter de l’extérieur", mais le confinement a chamboulé ses plans. Il affirme toutefois espérer que tout le monde sorte grandi de cette période particulière. 

Sans vouloir tirer de bilan prématuré, Zoheir Arrouf, professeur de culture et savoirs de base, se montre optimiste. Il note que les adolescents, "d'habitude très réfractaires", se dévoilent un peu plus. "Et ils sont plus agréables ! Peut-être parce qu’ils se lèvent plus tard...", avance l’éducateur, les horaires de réveil ayant été assouplis. "Ils se couchent plus tôt, dorment mieux, se réveillent tous seuls."

Changement côté sport également : exit le foot et le basket, bonjour le badminton et le ping-pong en extérieur. "Ma grande satisfaction, c’est de voir que ces jeunes, certains en surpoids, d’autres qui ont une addiction aux stupéfiants ou qui fument deux paquets de cigarettes par jour, font du sport tous les jours, c’est un effort remarquable", insiste Zoheir Arrouf. "On axe beaucoup notre prise en charge sur le soin, prendre du plaisir", abonde Yasmine Boutkhili qui rappelle que la PJJ doit restaurer le lien de ces jeunes difficiles à l’adulte.

"Ces jeunes ont besoin de beaucoup d'attention"

Du côté des familles d’accueil, les 19 sur lesquelles s’appuient le département ont poursuivi leur prise en charge avec un accompagnement renforcé. "C’est beaucoup plus de courses et beaucoup plus de cuisine", explique Fathia Bouda accueille deux adolescents de 16 et 17ans, dont l’un a été extrait d’un foyer pour la période de confinement. "Ils aiment les gratins de pâtes, les plats robustes", sourit cette femme qui multiplie aussi les appels et SMS aux services de la PJJ pour les tenir au courant des aller et venues de ses remuants pensionnaires. L’un sort tous les jours, et l’autre une nuit sur deux, malgré le confinement.

"Le plus jeune, je le gronde mais il sourit : 'Ne vous inquiétez pas Madame, je fais très attention, je ne m’approche pas des gens'", regrette-t-elle, tout en racontant qu’il ôte ses chaussures devant la porte et lave toutes ses affaires dès qu’il revient. Il a été arrêté plusieurs fois par la police, ramené par les éducateurs, mais rien n’y fait. "Ces jeunes ont besoin de beaucoup d’attention, ils sont perturbés psychologiquement", analyse Fathia Bouda, qui n’a pas hésité un instant à poursuivre l’accueil malgré la pandémie.

"Une petite trentaine de mineurs déférés au parquet"

D’après le directeur territorial de la PJJ de Seine-Saint-Denis, les infractions au confinement sont, de manière générale, très faibles chez les mineurs. Il dénombre dans ses tableaux "une petite trentaine de mineurs déférés au parquet, un chiffre ridicule au regard du département". Et de souligner que la plupart des jeunes concernés cumulaient par ailleurs d’autres infractions, comme le trafic de stupéfiants, au moment de leur arrestation. Pour l’essentiel, ils participeront à des stages de citoyenneté notamment en lien avec les hôpitaux.

Lui préfère retenir "le travail remarquable" de ses équipes. "A 20 heures, j’applaudis évidemment pour les soignants, mais personnellement j’ai aussi une pensée pour les éducateurs de la PJJ."

* Le prénom a été modifié