Éducation : faut-il donner du crédit au classement Pisa ?

© PHILIPPE HUGUEN / AFP
  • Copié

L’OCDE publie mardi son très attendu classement Pisa, une étude comparative du système éducatif de 70 pays.

Tous les trois ans, les ministres de l’Education des 72 pays participants à l’étude attendent leur note avec anxiété. Le dernier classement Pisa, réalisé par l’OCDE en 2015, doit être publié mardi. Le précédent donnait la France 25e, soit trois places de moins qu'en 2009 et... neuf places de moins qu'en 2012. D'abord regardé avec méfiance, voire avec déni par les décideurs nationaux, le "Programme international pour le suivi des acquis des élèves" est devenu un baromètre incontournable pour évaluer les politiques éducatives. Que vaut-il vraiment ? Comment est-il préparé ? Les gouvernements s’en inspirent-ils ? Décryptage.

La méthodologie est-elle fiable ?

Oui, à condition de ne pas prendre le classement au pied de la lettre. Les exercices sont passés par 540.000 jeunes de plus de 70 pays et territoires. Trois domaines sont passés au crible, et ce depuis la naissance de l’étude en 2000 : compréhension de l'écrit, culture mathématique et culture scientifique. Pisa inclut aussi un questionnaire sur l'environnement familial, socioculturel et scolaire des élèves. L’OCDE évalue, enfin, le rapport au travail des élèves ainsi que leur attitude vis-à-vis des enseignants.

>> Voici le dernier classement, publié en 2013 :

Plusieurs pays ou territoires supplémentaires ont rejoint l'étude en 2015 : en Chine, la ville de Pékin et les provinces de Jiangsu et Guandong, ainsi que l'Algérie, la République dominicaine, le Kosovo et le Liban. Mais comment comparer des millions d’élèves en même temps ? Pour effectuer le tri, l’OCDE se concentre sur les élèves de 15 ans, selon un échantillon représentatif de l’ensemble des élèves de 15 ans du pays (âge auquel les élèves de plusieurs pays terminent leur scolarité obligatoire). Et c’est là l’une des premières critiques émises par différents scientifiques à l’encontre de l’étude, qui risque d’en être biaisée. Dans de nombreux pays, en effet, plusieurs élèves de 15 ans sont sortis du système scolaire. Seuls les meilleurs participent donc à l’étude, contrairement à d’autres pays (comme la France) où de nombreux élèves de 15 ans ont déjà redoublé au moins une fois.

"Comme dans tout sondage, il y a des marges d'erreurs dont il faut tenir compte. Il est donc peu pertinent de dire qu'avec un score de 495 points en maths dans l'édition 2012, la France était à la 25e place. Il vaut mieux relever qu'elle se situe dans le milieu du classement, proche de la moyenne de l'OCDE, avec un score comparable à celui d'une dizaine de pays (Irlande, Danemark, Royaume-Uni, Norvège...)", décrypte le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco), cité par l’AFP.

Oui, car elle ne favorise personne en particulier. Autre critique formulée parfois à l’égard du classement : les questions sont d’abord rédigées en anglais, avant d’être traduites, ce qui risquerait, selon ses détracteurs, de favoriser les pays anglo-Saxons. Fausse critique, selon Julien Grenet, chercheur à l'Ecole d'économie de Paris. "Leur traduction dans les autres langues est très précise et des tests permettent d'identifier les éléments qui ne fonctionnent pas dans certains pays. Ces questions sont alors éliminées", assure-t-il à l’AFP. Ultime critique formulée à l’encontre de la méthodologie : le type de questions posées (à choix multiples et ouvertes) favoriserait, lui aussi, les pays anglos-axons. Mais cela ne se vérifie pas dans les faits.

Loin d'être défavorisés par les questionnaires à choix multiples (qui représentent un gros tiers des questions posées), les élèves français affichent de meilleures performances sur ce format, pourtant peu pratiqué dans l'Hexagone. Les questions ouvertes s'appuient sur des supports peu académiques (notice pharmaceutique par exemple) et les meilleurs résultats Pisa sont obtenus par des pays de culture très différente (Corée du Sud, Canada, Finlande...). Et les pays anglo-Saxons (Etats-Unis ou Royaume Uni) ne brillent pas particulièrement.

Les résultats sont-ils vraiment exploitables ?

Oui, car cela permet d’observer nos voisins. Si ce classement ne peut pas offrir un résultat parfaitement représentatif des élèves d’un pays, il n’en est pas moins scruté avec attention par les différents gouvernements. "Au départ, au regard de la méthodologie, les décideurs et les syndicats  regardaient ce classement avec mépris. Mais petit à petit, il a été pris en compte. Et aujourd’hui, au ministère de l’Education français, on attend même le classement avec inquiétude!", raconte à Europe 1 Marie Duru-Bellat, sociologue émérite spécialisée dans les questions d’éducation.

"Je pense par exemple que l’on doit à Pisa le maintien du collège unique en France. Il a longtemps été remis en question. Mais les gouvernements ont regardé l’épisode polonais. La Pologne, qui avait un système par filière, a décidé de mettre en place un enseignement unique et les élèves polonais ont bondi au classement !", décrypte la sociologue, pour qui c’est là le principal intérêt du classement Pisa : observer ce qui marche et ne marche pas ailleurs. "Ce n’est qu’un classement mais c’est tout de même un classement. Avec des données sérieuses intéressantes à observer, révélatrices d’une politique".

" On a enfin un diagnostic chiffré clair sur l'ampleur des inégalités scolaires "

Oui, car ça en dit long sur les inégalités. Dès la première édition en 2000, Pisa souligne le poids de l'origine sociale d'un élève sur ses performances scolaires. Ces conclusions sont tirées des questionnaires dits "de contexte", qui demandent aux élèves des informations sur leur milieu social et familial, et leur ressenti sur l'école. "C'est ce qui a été le plus salutaire. On a enfin un diagnostic chiffré clair sur l'ampleur des inégalités scolaires", relève Julien Grenet, chercheur à l'Ecole d'économie de Paris. "La reproduction sociale existe dans tous les pays, mais la France affiche la corrélation la plus forte au sein de l'OCDE entre l'origine sociale d'un élève et sa réussite à Pisa", poursuit-il. Selon lui, cette enquête a introduit ce sujet dans le débat public, aidé à la refonte de la carte de l'éducation prioritaire, avec un meilleur ciblage des moyens, et aiguillonné les tentatives de mixité sociale dans les écoles, ajoute le chercheur.

Autre enseignement tiré de Pisa : l'anxiété des élèves français, qui se sentent moins accompagnés par leurs professeurs. "On est resté en France à une approche ‘de haut en bas’, avec une réception passive des savoirs qui favorise peu les échanges, l'esprit critique et l'interaction", martèle le chercheur.

Attention, car il y a de multiples interprétations possibles. Reste une nuance, tout de même, à apporter aux enseignements de cette étude : elle donne avant tout un ensemble de données brutes, sans prendre en compte la situation historique et culturelle de chaque pays. Ce qui peut rendre l’interprétation difficile, comme l’explique cet article du site The Conversation.

"Prenons l’exemple de l’interprétation des bons résultats finlandais. Si on est syndicaliste, on les met en relation – on les ‘explique’ – avec le niveau élevé des rémunérations et du prestige des enseignants. Si on croit à la pédagogie, on les mettra plutôt en relation avec le suivi individualisé dont bénéficient les enfants en échec. Si on a un a priori favorable à l’autonomie des établissements, on soulignera que les écoles finlandaises ont un niveau d’autonomie plus élevé que les autres pays. Et ainsi de suite…", écrit le site "d’expertise universitaire".

Et de conclure : "Or, il est plus que probable que les divers aspects des systèmes jouent de concert, d’où d’ailleurs le caractère très critiquable des ‘emprunts’ d’éléments isolés de tel ou tel système. En outre, la prise en compte du contexte historique et culturel serait nécessaire et c’est peu dire qu’elle est rarement intégrée dans l’analyse".