"Commises d'office", une web-série au cœur de la machine judiciaire

Pendant trois mois, une réalisatrice a suivi trois avocates du barreau d'Evry.
Pendant trois mois, une réalisatrice a suivi trois avocates du barreau d'Evry. © Capture d'écran "Commises d'office"
  • Copié
, modifié à
En huit épisodes diffusés sur internet, France Télévisions propose une plongée dans le quotidien de trois avocates en charge des "petites affaires" au barreau d'Evry, dans l'Essonne.  

Il est quatre heures du matin et Marion Masson, avocate de permanence du parquet d'Evry, est réveillée par un coup de fil. D'une voix ensommeillée, la jeune femme répond et note les détails du dossier : un mineur, arrêté pour tentative d'homicide et vol avec arme. Silence. "Je suis désolée de vous demander ça, vous n'avez rien d'autre ?", demande l'avocate. "Ah non, j'ai rien d'autre." Soulagement. "D'accord. Ça va prendre la journée, je pense."

Le choix ne pas choisir ses clients. La scène ouvre le premier épisode de "commises d'office", une web-série en huit chapitres de sept minutes* diffusée sur IRL, la plateforme de France Télévisions dédiée aux nouvelles écritures documentaires. La suite est faite de plans très courts, parfois montés en musique, un peu à la "Bref". En plus de Marion, on fait la connaissance de Déborah Meier-Mimran et Noémie Meublat, deux autres avocates qui ont choisi de ne pas choisir leurs clients et défendent le tout-venant. La première s'occupe surtout des mineurs. La seconde jongle entre les petits dossiers et sa première "grosse affaire", un homme accusé de viols sur ses filles. La troisième défend surtout les prévenus jugés en "comparution immédiate", ces audiences organisées quelques heures ou quelques jours seulement après les faits, parfois taxées de procès "d'abattage".

Alors d'emblée, on plonge au cœur de la machine judiciaire. "Quand on pense droit pénal, on imagine les grands avocats en train de plaider. Les commis d'office, c'est nettement moins glamour", explique Olivia Barlier, la réalisatrice, autrefois étudiante en droit. "De l'extérieur, on les imagine même parfois comme de mauvais avocats qui n'ont pas de clients. Or, tous ceux que j'ai rencontrés sont passionnés et font ça par choix." Pendant trois mois, la jeune femme a filmé les trois avocates, dans leurs voitures sur le périphérique, dans les couloirs du tribunal d'Evry, ou au parloir de la prison de Fleury-Mérogis.

"Faire travailler l'imaginaire". Sauf exception, la loi interdit d'enregistrer - et donc de filmer - les débats judiciaires. De la majeure partie des dossiers évoqués dans la série, on ne voit que les entretiens préliminaires, sortes de "briefing" entre l'avocate et son client avant l'audience. "J'ai pris ce parti parce que ça fait travailler l'imaginaire", assume la réalisatrice. "Et puis, il y avait suffisamment de matière." La "matière", c'est un petit garçon qui accuse son beau-père de le battre et demande si au tribunal, il pourra "décider de son jugement". C'est un homme arrêté pour avoir insulté des policiers, qui a l'impression d'être "un outil qui ne sert plus à rien" depuis qu'il a perdu son travail, sa maison et sa famille. C'est un clandestin qui s'effondre sur la table lorsqu'on lui annonce qu'il est renvoyé en Italie, où il pourra déposer une demande d'asile mais ne connaît personne.

 "Les premiers jours, je me suis pris de plein fouet des affaires parfois assez lourdes", se souvient Olivia Barlier. "Et puis j'ai vu qu'elles gardaient une pêche, une énergie nécessaire face à ces affaires-là. J'ai essayé de transmettre ça, leur sourire. Paradoxalement, ça peut donner des scènes assez drôles." Déborah Meier-Mimran confirme la naissance d'une "relation de confiance" : "au début, forcément, on ne voyait que la caméra, on n'était plus très naturelles dans notre pratique professionnelle. Et puis on a réussi à oublier." L'avocate juge le résultat "tout à fait fidèle à la réalité." Plusieurs de ses confrères, "grands pénalistes" comme habitués des comparutions immédiates, l'ont appelée en voyant les premiers épisodes. "Tous m'ont dit : 'mais c'est exactement ce qu'on vit'."

"Tout est dramatique." Avec les avocates, le spectateur s'amuse alors de la réponse d'un jeune homme arrêté pour trafic, qui ne veut pas faire de stage non rémunéré parce qu'il "aime l'argent", ou lorsqu'un autre, interpellé pour le même motif, avoue du bout des lèvres que sa dernière condamnation remonte à… deux jours. "Dans notre quotidien, tout est dramatique", souligne Déborah Meier-Mimran. "Mais on doit prendre les choses avec recul, parfois même avec humour, pour bien faire notre métier. Jamais sur le ton de la moquerie, juste pour supporter toutes ces situations. Tant mieux si ça transparaît, ça changera notre image."

 *Les quatre premiers épisodes sont disponibles sur la plateforme IRL, les quatre autres seront publiés dans les prochains jours.