"Avant on s’identifiait à Abraham Lincoln, aujourd’hui, on s’identifie à Beyoncé !"

  • Copié
animateur
Europe 1
, modifié à

Le sociologue et présentateur radio Guillaume Erner, qui publie "La souveraineté du people", était l’invité d’Anne Sinclair, samedi matin.

Lecteur sans complexe de la presse people, il a choisi d’analyser notre société à l’aune de son rapport obsessionnel aux célébrités. Guillaume Erner, animateur de la matinale sur France Culture et docteur en sociologie, était l’invité d’Anne Sinclair, samedi matin, pour présenter son ouvrage La souveraineté du people, publié chez Gallimard, en librairie le 18 février prochain.

Prendre la célébrité au sérieux. "Je suis comme tous les Français, j’aime lire la presse people et je n’en ai pas honte", avoue tout de go Guillaume Erner, qui n’a pas rechigné à lire Voici et la biographie de Victoria Beckham pour préparer son essai. De cet univers souvent méprisé, Guillaume Erner a fait un objet d’étude. Dans une société où la célébrité est érigée en but ultime, "il faut prendre ces choses-là au sérieux. Ces gens-là ont, aujourd’hui, une existence dans l’esprit de nos contemporains bien supérieure à celle d’hommes politiques par exemple", poursuit-il.

Le people en trois critères. Trois points sont essentiels pour définir un people, selon l’ancien producteur et animateur de Service public, sur France Inter. "Ce sont d'abord des gens célèbres pour leur célébrité, comme Nabilla". On sait aussi, poursuit-il, que, "la célébrité est complètement déconnectée de son mérite". Enfin, troisième chose importante, " tout le monde peut devenir un people", analyse celui qui fut d’abord docteur et maître de conférence en sociologie, avant de devenir journaliste. "La peopolisation est partout", résume-t-il, prenant l’exemple du président de la République, François Hollande, épié et pris en photo sur son scooter.

De Marie-Antoinette à Angelina Jolie, la métamorphose du modèle. A la fois proche et inatteignable, le people est quelqu’un que l’on va suivre, épier et chercher à imiter. Il est celui envers qui l’on peut s’identifier. "La différence entre Marie-Antoinette et Angelina Jolie, c'est que Marie-Antoinette, tous les paysans de l'époque savaient qu'ils ne pouvaient pas lui ressembler car c'était la reine. Angelina Jolie, chacun pense, probablement à tort car elle a manifestement une vie très éloignée de la nôtre, qu’il peut lui ressembler", développe-t-il.

Etre célèbre, distinction suprême. Processus d’identification, mais aussi de différenciation. Dans une démocratie, "tout le monde a priori est mis sur un pied d’égalité, est promis à un avenir commun". C’est pourquoi, dans une telle configuration sociale, chacun cherche "à se distinguer". Or, dans cette "course à la distinction", les people ont clairement une longueur d'avance".

La quête de lumière. Si certaines filles rêvent aujourd’hui "d’être Nabilla, c’est d’abord parce qu’elles veulent être célèbres", affirme Guillaume Erner, qui souligne à quel point les modèles de réussite ont changé. Alors que nous vivons dans une ère médiatique, "la célébrité est devenue une valeur suprême". "Chacun veut être reconnu, c’est-à-dire compter plus que les autres", précise-t-il. S’approcher au plus près de la lumière des projecteurs, jouir des privilèges impartis à la célébrité dessinent les rêves contemporains.

Pour étayer son propos, le sociologue rappelle un sondage américain. Interrogées sur leur idéal de carrière, des jeunes filles avaient le choix entre devenir secrétaire de Justin Bieber ou directrice d’Harvard. Résultat, la majorité préfèrent être secrétaire de Justin Bieber. "Avant on s’identifiait à Abraham Lincoln, aujourd’hui, on s’identifie à Beyoncé!", résume le journaliste.

La peopolisation des politiques. "Aujourd’hui, ce qui est en crise, c’est l’admiration", estime Guillaume Erner. Ainsi, les hommes politiques, qui n’échappent pas au phénomène de peopolisation, assistent (et participent) à la désacralisation de leur fonction dans l’opinion. Et dans le champ médiatique, le mélange des genres entre hommes politiques et célébrités est loin de rehausser le débat : "La société démocratique actuelle permet que l’on puisse mettre sur un même pied la parole d’un humoriste et celle d’un politique dès lors que les deux bénéficient d’une notoriété", déplore Guillaume Erner, faisant notamment référence au débat houleux entre Manuel Valls et Jérémy Ferrari dans On n'est pas couché.

La célébrité devient le seul et unique critère, elle rend légitime. A l’instar de Donald Trump. "Il a construit toute sa vie sur une marque, qui lui permet de faire de l’immobilier, de la télévision et aujourd’hui, même de la politique", illustre le sociologue. "C’est la preuve incarnée qu’un homme qui bénéficie d’une notoriété peut tout faire de celle-ci".