A Châlons-en-Champagne, les avocats se font juges pour pallier le manque d'effectifs

Me Simon Couvreur, bâtonnier de Châlons-en-Champagne, a été le premier à endosser le rôle du juge.
Me Simon Couvreur, bâtonnier de Châlons-en-Champagne, a été le premier à endosser le rôle du juge. © Salomé Legrand/Europe 1
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Salomé Legrand , modifié à
REPORTAGE - Depuis début avril, le tribunal de Châlons-en-Champagne s’est mis d’accord avec le bâtonnier pour "réquisitionner" un avocat volontaire tous les mercredis jusqu’à juillet afin de pallier le manque d’effectifs. 

En apparence rien à signaler, trois robes noires côte à côte surplombant le prétoire mais parmi les juges ce mercredi, seuls deux sont magistrats professionnels, le troisième est avocat. Au moment de plaider pour son client dans une affaire de stupéfiants Me Fabienne Anton-Romankow s’est retrouvée déstabilisée. "C’était extrêmement étrange, exercer les droits de la défense devant un avocat, quelqu’un qu’on croise tous les jours en étant du même côté, c’est très perturbant", explique à Europe 1 l’avocate, qui a soigneusement évité de croiser le regard de son confrère, se concentrant sur la présidente de l’audience correctionnelle. "On a l’impression que ce n’est pas dans l’ordre des choses", ajoute l’avouée.

Un bricolage permis par le code de l'organisation judiciaire. De l’avis de tous, la situation loin d’être idéale mais entre les postes laissés vacants, les arrêts maladies et les congés maternité, le tribunal se voit amputé d’un tiers de ses effectifs. Des juges placés ont bien été dépêchés pour épauler l’équipe en place mais ça n’est pas suffisant. D’où ce bricolage, permis par l’article L212-4 du code de l'organisation judiciaire qui prévoit que les avocats peuvent être appelés à suppléer les juges pour compléter le tribunal de grande instance lors des audiences collégiales tant que les magistrats professionnels restent majoritaires dans la formation de jugement. "Sans cette organisation, une partie des dossiers risquaient de se voir renvoyés à début 2019", détaille Marie-Laurence Janel, présidente du tribunal par intérim, "ce qui n’est pas satisfaisant car il n’y a pas de réponse à la délinquance, pas de réponse non plus pour les victimes".

Un planning pour ne pas nuire aux justiciables. "Une peine prononcée des mois après les faits n’a plus de sens", abonde Me Simon Couvreur, bâtonnier de Châlons-en-Champagne, qui "pour le justiciable" a organisé un planning d’avocats volontaires pour se glisser dans la robe d’un magistrat, de sorte que la "réquisition" n’empêche pas l’un de ses confrères de plaider son dossier à l’audience. 

"J’espère que notre cri d’alerte sera entendu". Premier à passer de l’autre côté de la barre, il a apprécié l’expérience : "Ça m’a permis d’avoir une vision extérieure du métier d’avocat que je pratique depuis près de vingt ans", sourit-il, précisant qu’il compte ajuster sa façon de plaider, avec plus de mouvements afin d’attirer l’attention des magistrats et moins de tics de langage qui l’ont agacés. Mais le bâtonnier martèle que l’organisation n’est pas durable : "ce n’est pas une situation qui doit se pérenniser dans l’avenir, le Code est très clair, c’est pour des événements exceptionnels, très temporaires". "J’espère que notre cri d’alerte sera entendu", insiste-t-il. Pour l’instant aucun renfort n’est annoncé pour la rentrée.