Prison des Baumettes : la page Facebook des détenus fait des vagues

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Nathalie Chevance avec , modifié à
Une page intitulée "MDRobaumettes" présentant des détenus, exhibant argent liquide et produits illicites, a été fermée à la demande de l'administration pénitentiaire. Des enquêtes administrative et judiciaire ont été ouvertes.

Depuis décembre 2012, elle était la prison de la honte. Les effroyables conditions de vie des détenus des Baumettes, à Marseille, ont alimenté plusieurs rapports alarmants et déclenché des travaux de rénovation ordonnés par le tribunal administratif. Mais cette fois, c'est dans un registre complètement opposé que l'établissement carcéral fait parler de lui, révèle la Provence. Des détenus qui s'affichent ostensiblement avec portables, argent, armes et drogue, sur une page Facebook nommée "MDRobaumettes" (sic) pour "mort de rire aux Baumettes". Une page alimentée par les détenus et qui a reçu 4.800 "j'aime" avant que l'administration n'obtienne sa fermeture le 31 décembre dernier. Des enquêtes administrative et judiciaire ont été ouvertes. 

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Au milieu des sourires : argent, shit et couteaux. C'est une galerie de portraits en forme de défiance à l'administration pénitentiaire. Des détenus qui posent en cellule ou dans la cour de promenade avec des billets de 50 euros pleins les mains, exhibant des morceaux de "shit" (résine de cannabis) ou en train de fumer la chicha. Des photos de groupe et des selfies tout sourire, version boys band, comme dans un camp de vacances. Plusieurs syndicats de surveillants ont d'ailleurs réagi, dénonçant une "dérive inquiétante" et une "gestion de club de vacances". Pour Jacques, le père d'un jeune détenu des Baumettes, "c'est le Club Med. A l'intérieur, vous êtes logé, nourri. Le plus dur, c'est quand on rentre. Une fois que vous êtes dedans, que vous êtes bien imprégné, vous avez tout ce que vous voulez."

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Devant ces clichés, pris avec des téléphones portables, David Cucchietti, le délégué CGT des surveillants des Baumettes, dresse un constat d'impuissance. "Cela prouve que nous, personnels de surveillance, n'avons plus la main mise sur la détention. Ce n'est pas possible", s'indigne-t-il au micro d'Europe 1. "Là, les détenus sont quasiment livrés à eux-mêmes. Avec les armes que nous avons trouvé, les couteaux, les téléphones, la drogue… Qu'est ce que vous voulez que l'on fasse ? On a des cellules surchargées de 2x9m2 : c'est un entrepôt qu'il y a dedans. Donc on fait des fouilles mais avec les moyens que l'on a", poursuit le syndicaliste. 

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"Certains se marrent et d'autres pleurent".  Il manque 50 surveillants aux Baumettes. Mais pour Karim, qui vient visiter son frère incarcéré, il y existe des complicités. "Cela veut dire que (les surveillants) ne font pas leur boulot correctement. S'il y a de la drogue et des couteaux, c'est la jungle", regrette-t-il. "Comment les détenus peuvent-ils faire entrer tout ces produits et objets ? "Les parloirs, les gardiens, ils ont des complices et ça fait rentrer des trucs. Pas gratuitement, c'est sur", élude ce proche de détenu. "C'est une mascarade, du grand n'importe quoi. Pendant que certains se marrent et d'autres qui pleurent".

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Une page publiée à l'extérieur de la prison. Suite à la découverte de cette page Facebook, des enquêtes administrative et judiciaire ont été ouvertes. "On a tout de suite pris des dispositions après la découverte de cette page Facebook en ouvrant une enquête administrative et en saisissant le procureur de Marseille", a ainsi indiqué Philippe Perron, le directeur interrégional de l'administration pénitentiaire. Selon ce dernier, la page "MDR o Baumettes" a été publiée depuis "l'extérieur" du centre pénitentiaire marseillais, avec des clichés "remontés de l'établissement". L'auteur, qui n'a pas été identifié pour le moment, a suspendu la page "dès que ça a commencé à se savoir". Par ailleurs, des "fouilles sectorielles" ont été lancées auprès des détenus visibles sur les photos, et ont déjà permis "de retrouver certains des objets présentés", a-t-il annoncé. Selon nos informations, trois téléphones portables, une clef usb et une petite lame ont été saisis dans les cellules, tandis que six jeunes détenus auraient été identifiés et devraient passer en conseil de discipline.

"La prison n'impressionne plus". Face à ces événements, le syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés (SPS) réclame quant à lui "une fouille générale du centre pénitentiaire de Marseille ; l'apport d'effectifs de surveillants [...] et le désencombrement des cellules en détention." Le représentant du syndicat aux Baumettes, Jérémy Joly, signale que "de plus en plus de téléphones portables, d'armes blanches et de stupéfiants sont trouvés" lors des fouilles. L'été dernier, pas moins de 30 couteaux avaient ainsi été retrouvés en un week-end.