Pourquoi le procès du Mediator a été renvoyé

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avec AF P , modifié à
Le tribunal de Nanterre estime que la procédure est trop fragile contrairement à celle initiée à Paris.

Rendez-vous en 2014 pour les victimes du Mediator. Le tribunal correctionnel de Nanterre a décidé vendredi de reporter d'au moins un an le procès du Mediator. La date d'une reprise du procès, qui vise les laboratoires Servier pour "tromperie aggravée", devrait être fixée lors d'une audience de procédure prévue le 15 mai 2014. Pourquoi un tel report du procès dans lequel le fondateur des laboratoires Servier, Jacques Servier, 91 ans, comparaît depuis le 20 mai devant le tribunal correctionnel de Nanterre. En face, plus de 600 parties civiles attendent réparation dans le procès du Mediator, un médicament accusé d'avoir déjà causé des centaines de morts.

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Deux procédures distinctes. Aujourd'hui, l'affaire du Mediator fait l'objet de deux procédures. L'une à Nanterre, l'autre à Paris. Le procès devant le tribunal correctionnel de Nanterre fait suite à une "citation directe" diligentée par les victimes du Mediator et une association de consommateurs. Dans cette procédure simplifiée, il n'y a pas d'instruction : le procès se tient dans les plus brefs délais et l'affaire est instruite à l'audience. L'objectif est en effet d'éviter une instruction trop longue et de faire condamner rapidement Jacques Servier. L'autre procédure engagée à Paris est bien longue et fait l'objet d'une instruction détaillée.

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"Incapacité à dissiper certaines contradictions". Mais en l'absence d'instruction à Nanterre, la présidente de la 15e chambre du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a jugé que le tribunal était dans l'impossibilité de prendre une décision en l'état. Elle a donc demandé à ce que "la totalité du dossier" de l'instruction actuellement en cours à Paris sur les même faits lui soit transmise, une fois que celle-ci sera terminée. A Paris, le pôle santé est en effet sur le point de boucler son instruction et de nouvelles mises en examen de taille pourraient survenir. Il y a eu au cours des débats qui se sont tenus jusqu'ici "de multiples références à l'instruction en cours" à Paris et le tribunal est à ce stade "dans l'incapacité de dissiper certaines contradictions", a relevé la présidente pour justifier sa décision.

"Le tribunal est allé au-delà de ce que nous demandions". Jeudi, le parquet de Nanterre avait demandé un supplément d'information mais plus restreint, portant notamment sur le rapport d'expertises ordonné par les juges d'instruction parisiens et rendu public en avril. De leurs côtés, les conseils des laboratoires Servier avaient demandé un supplément d'information portant notamment sur le rôle de l'Agence du médicament, mise en examen en mars à Paris.

"Le tribunal est allé au-delà de ce que nous demandions, en réclamant l'ensemble du dossier", a souligné Me Hervé Témime, conseil de Jacques Servier, le fondateur des laboratoires qui risque de faire face à une investigation plus fouillée, mais qui bénéficie d'un long délai, plutôt arrangeant, vu son âge avancé, 91 ans. "Je regrette qu'on ait dû passer par de si longues épreuves pour tout le monde - et je pense d'abord aux parties civiles - avant d'arriver à cette décision qui s'imposait. J'espère que la justice finira par être rendue dans des conditions qui permettront d'être certaine qu'elle sera bien rendue. Et ce n'était pas le cas ici", a commenté Me Hervé Témime au micro d'Europe 1.

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"Je suis déçu, le procès va mettre beaucoup de temps". Côté victimes, ce renvoi du procès, qui avait déjà été suspendu il y a un an pour des questions de procédure, divise. Certaines espéraient la tenue du procès tandis que d'autres demandaient un sursis jusqu'à ce que l'instruction parisienne soit close. "Je suis déçu, le procès va mettre beaucoup de temps à reprendre et pendant ce temps-là des malades continuent à mourir", a déploré auprès Sylvain Ramsany, qui a consommé du Mediator pendant 20 ans et souffre de valvulopathie.

Même son de cloche du côté de Me Joseph-Oudin, un des avocats des victimes du Mediator, pour qui "le dossier me semblait en état d'être jugé". "Pour moi, c'est surtout l'illustration que ce n'est pas évident de juger les laboratoires Servier et il faudra encore du temps pour qu'un procès puisse intervenir. On va continuer les procédures, évidemment, pour apporter des éléments sur la culpabilité des laboratoires Servier", a-t-il commenté au micro d'Europe 1.

"Gravissime de se passer d'une instruction". "L'objectif, c'est de faire condamner Servier, mais dans de bonnes conditions", assurait pour sa part Me Jean-Christophe Coubris, qui représente 40 victimes dans la procédure de Nanterre, soulignant que le nombre de plaignants est beaucoup plus important à Paris qu'à Nanterre (environ 3.300 contre 700). "Se passer d'une instruction sur une situation aussi gravissime, cela me paraît de la haute voltige. Ce que je crains, c'est que les magistrats se sentent dans l'obligation de juger", avait-il confié au début du procès.