Les victimes de torture mal accueillies?

En France, au moins 50.000 réfugiés ont besoin de soins pour avoir "connu des tortures", indique un livre blanc, intitulé : "Soigner les victimes de tortures exilées en France".
En France, au moins 50.000 réfugiés ont besoin de soins pour avoir "connu des tortures", indique un livre blanc, intitulé : "Soigner les victimes de tortures exilées en France". © Chor Sokunthea / Reuters
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Selon un rapport, la France manquerait de centres de soins, d'hébergement et de formation.

La France accueille mal les victimes de torture, d'où qu'elles viennent dans le monde. C'est en substance ce que constate le Centre Primo Levi, spécialiste en la matière. Dans un rapport publié jeudi, l'association relève en effet que les personnes "victimes de violences et de torture dans leur pays d'origine", qui sont réfugiées en France, ne sont pas "suffisamment prises en charge par les structures de soins".

En France, au moins 50.000 réfugiés devraient bénéficier de soins pour avoir "connu des tortures par le passé", indiquent les auteurs de ce livre blanc, intitulé "Soigner les victimes de tortures exilées en France". Le Centre Primo Levi en reçoit par exemple 300 chaque année, dont 65 % en provenance d’Afrique subsaharienne : République démocratique du Congo, Guinée, Angola… Les autres viennent surtout du Moyen-Orient (Turquie, Irak, Afghanistan) ou de l’ancienne URSS (Tchétchénie, Russie, Ouzbékistan,..), précise le journal La Croix

"21.000 places pour 52.000 demandes"

Or, selon le rapport, il n'existe en France que cinq centres de soins spécialisés. Et cinq autres qui accueillent plus largement des réfugiés. Ils seraient tous "saturés" à force d'"accueillir, soigner et accompagner plusieurs centaines de milliers de personnes", soulignent les auteurs.

"C’est évidemment très bien qu’un pays comme la France dénonce régulièrement les actes de torture ou les exactions commises un peu partout dans le monde. Mais il faudrait aussi qu’on s’interroge collectivement sur l’accueil que nous réservons ensuite à toutes les victimes qui ont réussi à fuir ces violences", prévient Éléonore Morel, directrice générale du Centre Primo Levi, interrogée par La Croix.

Et outre le côté médical, le rapport s'inquiète que les réfugiés souffrent d'un "hébergement insuffisant" : selon lui, il y avait, en 2010, 21.410 places en centre d'accueil (Cada) pour 52.762 demandes d'asiles enregistrées.

"L'UE suspend ses subventions en 2013"

De fait, "la plupart des demandeurs d'asile sont sans domicile fixe, déplacés d'hébergements précaires en logements surpeuplés, ou logés en hôtel pour une durée indéterminée", regrettent ses auteurs, qui se demandent "comment instaurer et maintenir un accompagnement thérapeutique de qualité dans ces conditions".

"Il y a certains enfants qui n’arrivent pas être scolarisés. Nous avons aussi des patients qui n’ont pas de quoi manger au quotidien",  renchérit Olivier Jegou, assistant social au Centre Primo-Levi, contacté par La Croix. 

Et la situation risque de ne pas s'améliorer. Car l'Union européenne, qui finance un tiers du 1,5 million d'euros du budget du Centre Primo Levi, association en charge d'un centre de soin à Paris et de former des autres centres, veut suspendre ses subventions en 2013. "L'Union estime que c’est aux États membres de prendre en charge ces personnes", explique Eléonore Morel.

"Pas les moyens de se déplacer"

Au delà de ce constat, le rapport avance quelques recommandations concrètes. Parmi elles : la garantie de l'accès aux soins quel que soit le statut administratif du patient, avec non seulement une prise en charge médico-psychologique, mais aussi un accompagnement social et juridique.

Les auteurs  préconisent également de mieux former les professionnels, "en intégrant notamment dans les études de médecine et dans la formation continue, un module de sensibilisation et de formation sur le repérage et la prise en charge des victimes de torture et de violences".

Le Centre Primo Levi dénonce enfin "des ressources incompatibles avec l'autonomie", pointant du doigt le faible montant de l'allocation mensuelle de 202 euros octroyée à une personne seule, qui n'a en général pas le droit de travailler. "Comment se rendre au rendez-vous quand on n'a pas les moyens de se déplacer et qu'on est loin de son lieu de consultation ?", interpelle le rapport, en pointant "l'isolement" des réfugiés.

"Contrairement à une idée encore trop largement répandue, les exilé(e)s ne viennent pas en France à la recherche de l’eldorado, ni d’ailleurs avec la volonté d’user, voire d’abuser de notre système de santé, concluent les auteurs. Ils recherchent avant tout protection et asile."