Le déserteur accuse l'armée de bizutage

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Benjamin, qui assure avoir été bizuté, comparaît lundi devant le tribunal militaire de Marseille.

Pourquoi a-t-il quitté la base d'Istres, en ce mois de juillet 2011 ? La question sera évoquée lundi, au tribunal des affaires militaires de Marseille. Benjamin, 25 ans, ex-soldat, y comparaît pour désertion, sur fond d'affaire de bizutage.

Le jeune homme intègre la base 125 en octobre 2009, avec le grade de sergent, à sa sortie de l'école de sous-officiers de l'armée de l'air. Fils d'un commandant de police lui-même issu d'une famille de militaires, il signe pour cinq ans comme mécanicien, à l'Escadron de soutien technique spécialisé (ESTS) de cette base aérienne d'Istres, et s'occupe de l'entretien des Mirages 2000.  Pourtant bien noté et bien vu de sa hiérarchie, il quitte le site trois ans plus tard.

"Un état de déception, de désolation"

Le hic : il le fait contre l'avis de l'armée, qui avait refusé sa demande de résiliation. "Il était passé mécanicien dans une unité de Boeing ravitailleurs, excessivement sollicitée en 2011 avec un pic d'activité en Afghanistan et en Libye", explique le colonel Jean-Pascal Breton. "Dans l'armée on n'est pas dans le cadre du Code du travail, on ne peut pas poser un préavis de deux mois et partir, il faut un accord en retour qui ne lui a pas été donné", précise-t-il. 

L'armée invoque également la longueur et le coût de la formation de Benjamin, qui n'aurait pas été "rentabilisée".

En août 2011, le militaire est donc déclaré déserteur. Son père, constatant "un état de déception, de désolation", l'encourage à partir et l'aide à se cacher en Rhône-Alpes, tandis que les gendarmes le recherchent. "Dans sa lettre de démission, il a indiqué qu'il avait un projet dans une entreprise de bois avec son frère, précisait il y a quelques mois au journal local La Provence Me Jean-Jacques Rinck, l'avocat du père. Il semblerait que la vraie raison ne soit pas ça."

 "Un subterfuge pour déserter"

Benjamin n'en dit pas plus jusqu'en décembre dernier. Le jeune homme s'ouvre alors à sa famille et dit avoir été bizuté dès son arrivée à Istres. "On a été pris à partie à l'occasion d'un pot de départ, l'ambiance s'est rapidement dégradée", raconte-t-il, affirmant avoir été "bâillonné et ligoté" par cinq ou six militaires, en présence d'un lieutenant-colonel, puis "descendu dans les vestiaires". "Je n'ai pas voulu me laisser faire, je me suis rebellé", ajoute-t-il, l'épisode s'étant terminé selon lui sans violences physiques, sauf "des claques". 

L'ex-soldat explique avoir vécu l'évènement comme une "humiliation" et "une honte." Il n'ose pourtant ni porter plainte, ni en parler à ses proches tout de suite. "Ce grand gaillard, par pudeur ou peut-être pour se protéger, a longtemps essayé de prendre le dessus parce qu'il pensait que l'armée c'était sa voie", soutient son avocate Me Isabelle Ansaldi.

L'armée parle, elle, de "subterfuge pour déserter". "L'armée n'accepte pas le bizutage et à tout moment un militaire peut se plaindre de ce genre de pratiques auprès de sa hiérarchie, mais il ne l'a jamais fait", répond le colonel Breton. "Il affirme des choses dont nous n'avons jamais eu connaissance et dont nous n'avons pas trouvé trace. S'il apporte des preuves, si les faits sont avérés, nous ferons le nécessaire, mais il nous a dit qu'il voulait partir parce qu'il n'était pas satisfait de son travail", poursuit-il.   

"Une institution bien plus forte que nous"

Pourtant, selon Benjamin,  son histoire circule à l’intérieur de la base. "J’ai été convoqué par le commandant d’escadron. Il m’a dit : 'ton bizutage, tu n’en parles jamais'!" assure-t-il, selon des propos rapportés par Le Parisien.

Benjamin se rend finalement à la gendarmerie en janvier 2012, déclarant s'être "enfui".  Et sera donc devant le tribunal lundi. "Benjamin a eu le courage de se rebeller contre des pratiques ancestrales que la hiérarchie ne veut pas admettre. Son départ n’est absolument pas lié à un quelconque caprice", le défend son avocate.   

Le jeune homme "redoute" ce rendez-vous, et son entourage ne se montre pas très confiant. "On est dans le sordide. Il a le bonheur d'être soutenu par sa famille et on se bat contre une institution qui est bien plus forte que nous. J'ai l'honneur de mon fils à défendre", confie son père, qui le soutient depuis le début, au journal La Provence.

Benjamin risque trois ans de prison ferme. Mais de tels actes donnent plutôt lieu en moyenne à des condamnations de deux mois avec sursis. L'armée de l'air, qui emploie 57.000 personnes, a enregistré une cinquantaine de cas de désertion en 2011.