Esclavage : le coup d'éclat du Cran

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Sophie Amsili avec agences , modifié à
Il réclame à la Caisse des dépôts une réparation financière. Une position controversée.

L'annonce. C'est une demande qui suscite la controverse et à laquelle le président de la République s'est déjà opposé. Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) a annoncé vendredi qu'il assignait en justice la Caisse des dépôts (CDC) et qu'il lui réclamait une compensation financière pour avoir profité de la traite négrière. "Nous assignons en justice la Caisse des dépôts et consignations, la banque d'Etat qui a joué un rôle considérable dans l'esclavage", a annoncé le président du Cran Louis-Georges Tin à l'occasion de la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions.

Une "double peine". Le Cran accuse la CDC de s'être rendue "complice de crime contre l'humanité" en encaissant "des sommes équivalentes à 21 milliards de dollars" entre 1825 et 1946. Une indemnisation exigée par Paris pour ses colons en échange de l'indépendance du pays en 1804. Pour le président du Cran, Haïti a ainsi été frappée d'"une double peine", jugeant que "cette rançon a précipité Haïti dans une spirale infernale d'instabilité et de misère".

La CDC s'est également "enrichie grâce à l'exploitation colonialiste", a ajouté Me Norbert Tricaud, avocat du Cran. Ce dernier compte demander à la CDC "d'abonder à hauteur d'au moins 10 millions d'euros un fonds de dotation pour financer des recherches" sur l'esclavage.

De son côté, la CDC a réagi en renvoyant vers le Trésor. "Légalement, les sommes qui sont consignées à la Caisse des dépôts sont reversées au Trésor au bout de 30 ans", a indiqué un porte-parole de la banque publique.

L"'impossible réparation" selon Hollande. Peu avant cette annonce du Cran, François Hollande avait écarté l'idée d'une compensation financière. Le chef de l'Etat s'est appuyé sur les mots du poète martiniquais Aimé Césaire : l'"impossible réparation". "Il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini ? Non, ce ne sera jamais réglé", a estimé le président de la République.

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La position du Cran critiquée.  La position du Cran ne fait pas non plus l'unanimité parmi les descendants d'esclaves. "Nous sommes tous d'accord sur l'importance de réparations morales, mais sur le plan financier, c'est beaucoup plus compliqué", a déclaré l'écrivain Claude Ribbe, descendant d'esclaves de Guadeloupe. "Ce n'est pas en intentant des procès perdus d'avance à l'Etat, ce n'est pas en multipliant les happenings que l'on avancera", a-t-il estimé. Pour le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais, CollectifDom, "la diversité des ethnies composant les populations ultramarines commande de ne pas jouer avec le feu en réclamant notamment des réparations financières".

Un mémorial à Pointe-à-Pitre. L'historien Pascal Blanchard, spécialiste de la colonisation, estime pour sa part que parler de réparations financières avant d'avoir effectué le travail de mémoire, par la recherche et dans des musées, revient "à demander l'addition avant même d'avoir commencé à manger ensemble". "La France compte 12.700 musées, mais aucun consacré à l'histoire coloniale ou l'esclavage", regrette-t-il. François Hollande a d'ailleurs annoncé vendredi que l'Etat apporterait sa "contribution" au "projet emblématique" de "Mémorial ACTe" qui doit ouvrir à Pointe-à-Pitre en 2015.

L'avocat du Cran, lui, assure que cette assignation n'est pas faite "pour [se] venger, mais pour alimenter le débat". "Faute de solution politique, nous menons le débat sur le plan juridique", explique également Louis-Georges Tin. Le Cran envisage d'autres actions similaires contre des banques privées ou des groupes sucriers.