Djihad : "je peux m’entraîner et ne pas faire la guerre"

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RÉCIT - Instantanés de la première audience devant le tribunal correctionnel de Paris des trois apprentis djihadistes.

Le procès. Ils sont soupçonnés d’avoir voulu se rendre en Syrie pour combattre aux côtés des rebelles et faire le djihad. Mais le voyage des trois jeunes prévenus jugés jeudi devant le tribunal correctionnel de Paris a tourné court en mai 2012. La DCRI, qui les avait placés sur écoute depuis plusieurs semaines, suivant ainsi les nombreux changements de programme et les achats de matériel, les arrête avant qu’ils n’embarquent à l’aéroport de Saint-Etienne. Europe1.fr a suivi la première journée de leur procès. Récit.

En retard. Il s’est fait remarquer alors que les débats n’étaient même pas encore entrés dans le vif du sujet. A l’appel de son nom, personne n’a bougé dans la salle. Absent et non représenté par un avocat, l’audience commençait mal pour Salah-Eddine. Le jeune homme de 24 ans est finalement arrivé avec presque vingt minutes de retard. Jogging noir, veste assortie, petite sacoche en bandoulière, queue de cheval et bouc, il est allé s’assoir devant, à droite.

Mains croisées, voix posée. A sa gauche, Fares l’a regardé remonter l’allée d’un air détaché. Le plus jeune du trio, lui, est arrivé pile à l’heure avec son avocat. Celui qui affirme travailler, en CDI, comme "hôte d’accueil dans un magasin des Champs-Elysées" a ôté son caban gris, dévoilant une carrure athlétique, moulée dans un pull gris clair.  Lui reconnaît qu’il s’apprêtait à partir avec ses deux comparses faire le djihad. Mains croisées derrière le dos, il parle tout au long de l’audience d’une voix posée, sans jamais s’énerver.

"Pierre, Jambon ou Cochon". Ce qui n’est pas le cas du dernier comparse, celui qui se détache comme le leader du trio. Youssef, le plus âgé de la bande, le plus capé, comparaît détenu. C’est d’ailleurs lui qui est arrivé le premier dans la salle d’audience, assistant même au délibéré de l’affaire précédente, le procès Zahia-Benzema-Ribéry, hasard du calendrier judiciaire. En survêtement  « trois bandes » gris, queue de cheval et petite barbe taillée en pointe, il n’hésite pas à répondre au président du tribunal d’un air goguenard. Quand il est question du prénom de sa fille, "Jihad", Youssef explique qu’"en France, les gens appellent bien leurs enfants Pierre, Jambon ou Cochon". Devant l’incrédulité du tribunal, il tient à citer ses sources : "je regarde beaucoup la télévision depuis que je suis en prison et je l’ai vu dans un documentaire".

"J'ai le droit de sourire". Youssef réfute, lui, toute intention d’aller combattre en Syrie, ou ailleurs. Il assure que le but de leurs "vacances" était d’aller filmer "la tristesse" dans des camps de réfugiés syriens en Turquie – destination qui n’a été fermement décidée que quelques jours avant leur tentative de départ. Voulait-il s’entraîner au maniement des armes ? "Je peux m’entraîner et ne pas faire la guerre. Pour le plaisir. Courir, faire du tir, pourquoi pas ?", tente Youssef. Plus tard, il ajoute que certains vont bien en Thaïlande pour apprendre des sports de combat. "Et en plus, ils paient. Nous, au moins, c’était gratuit", lâche-t-il. Et lorsque le représentant du parquet lui reproche justement son air goguenard, il se voit rétorquer : "J’ai le droit de sourire. Vous voulez que je pleure ? Vous faites une tête sérieuse, moi, je souris."

"Cannes à pêche et gros poissons". Et lorsque le président du tribunal tente de son côté de décrypter le langage « codé » utilisé par les trois compères dans leurs conversations téléphoniques, l’hilarité n’est pas loin. "Vous parlez de canne à pêche, de pêcheur, de fleuve et de gros poissons", commence le magistrat. "Oui, une canne à pêche, c’est une canne à pêche", répond Youssef. "Vous pêchez dans le désert vous ?" "Oui, à Tombouctou, sur le fleuve Niger", le rembarre le prévenu, toujours sûr de lui. Salah-Eddine confirme alors aux juges qu’il avait bien compris que son comparse parlait d’armes… Et lui était d’ailleurs prêt à s’armer : "Si j’achète une arme à l’étranger, en quoi ça regarde l’Etat français ?"

"Vous mentez à tout le monde". Avec Youssef le fanfaron d’un côté et Salah-Eddine le détaché de l’autre, Fares, le plus en retrait des trois prévenus, devient finalement le centre d’intérêt du tribunal. Pendant près de 45 minutes, le jeune homme répond au feu de questions du président, de ses assesseurs et du procureur. "Pourquoi être parti avec des gens en qui vous n’aviez plus confiance ? Pourquoi partir en Turquie alors que vous prétendez vouloir aller étudier au Yémen ? Pourquoi ne pas attendre d’avoir les contacts avant de partir ? Pourquoi partir filmer alors que vous assurez que votre radicalisation s’arrête après l’affaire Merah ?", lui demandent-ils en rafale. "Vous mentez à tout le monde, à vos comparses, à vos interlocuteurs… Qui nous dit que vous ne nous mentez pas pour vous faire bien voir ?", s’interroge le représentant du parquet.

A l'heure ? Après presque six heures de débats, le président lève l’audience. Non sans avoir demandé à Salah-Eddine s’il comptait honorer le tribunal de sa présence le lendemain. A 13h30 précises.

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