Déserts médicaux : la réforme tiendra-t-elle ses promesses ?

Plusieurs textes relatifs à l'installation de jeunes médecins dans des "déserts médicaux" vont être publiés jeudi au Journal Officiel, a annoncé mercredi soir le ministère de la Santé.
Plusieurs textes relatifs à l'installation de jeunes médecins dans des "déserts médicaux" vont être publiés jeudi au Journal Officiel, a annoncé mercredi soir le ministère de la Santé. © MAX PPP
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Le dispositif pour inciter les praticiens à s'installer dans ces zones vient d'entrer en vigueur.

Quelque part dans la Creuse. Dans le village de Sainte Feyre (2.200 habitants), il n'y avait, jusqu'à récemment, aucun médecin généraliste, et ce depuis début 2012. Le maire de la ville creusoise a dû remuer ciel et terre, allant jusqu'à payer 3.000 euros un cabinet de recrutement, pour éviter à ses administrés d'avoir à parcourir plus de 4 km pour aller consulter. Une banderole flanquée d'un appel à la recherche de la perle rare est même restée sur le ponton de la mairie pendant plusieurs mois. Et, ironie du sort, c'est aujourd'hui l'un des principaux médecins de la commune voisine, Guéret, qui prend sa retraite et n'a toujours pas trouvé de successeur, laissant 1.500 patients orphelins. "En médecine, on dit 'si tu travailles mal, tu finiras généraliste dans la Creuse'", ironise ainsi le compte Twitter de l'émission C à Vous de France 5.

>>>  Et il n'y a pas qu'en Creuse ou de tels déserts médicaux existent. Afin de palier ce problème, le gouvernement a concocté plusieurs mesures, publiées jeudi au Journal officiel. Sont-elles à la hauteur ?

Où sont les déserts médicaux ? Selon l’association UFC Que Choisir, 3,1 millions de Français vivent dans un désert médical en ce qui concerne les généralistes, soit 5% de la population. Pire, il y a même 19% de français dans un désert médical pour les pédiatres, 14% pour les gynécologues et 13% pour les ophtalmologistes. L’Eure, La Manche, l’Eure et Loir, la Haute Marne et la Corrèze sont les départements les plus désertés. Dans l'Eure par exemple, d'après le Conseil national de l'Ordre des médecins, on compte ainsi 101,2 médecins pour 100.000 habitants, contre 136,5 au niveau national et 207 à Paris. Et il y a de fortes disparités au sein même des départements, comme dans la Creuse, où certains villages sont particulièrement affectés, ou encore dans l'arrière pays niçois, qui tranche furieusement avec le littoral.

>> Lire aussi : Désert médical : l'avis du doyen des médecins

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La garantie d'un salaire juteux. Principale mesure mise en place pour répondre à cette pénurie : une incitation financière pour les praticiens débutants qui décident de s'installer dans une zone sous dotée. Le dispositif en application depuis jeudi offre à ces médecins un complément de revenus, de manière à leur garantir un revenu net mensuel de 3.640 euros pendant deux ans. Ils bénéficieront également d'avantages en matière de protection sociale (un complément de rémunération forfaitisé leur sera versé pendant trois mois en cas d'arrêt maladie ou pendant toute la durée d'un congé de maternité). En contrepartie, les bénéficiaires s'engagent "à respecter les tarifs opposables et à participer à la permanence de soins ambulatoires". Marisol Touraine, ministre de la Santé, vise dans un premier temps la signature de 200 contrats de ces "praticiens territoriaux de médecine générale".

Toucher directement les étudiants. Le gouvernement a également  renforcé les "contrats d'engagement de service public". Ce dispositif, déjà existant, permet à des étudiants et internes en médecine de percevoir pendant leurs études une allocation mensuelle de 1.200 euros bruts. En contrepartie, ils s'engagent à exercer dans des territoires identifiés comme des déserts médicaux. 1.500 bourses d'engagement de service public seront donc versées chaque année d'ici 2017, contre 1.200 actuellement. Par ailleurs, le décret prévoit d'étendre le dispositif aux étudiants en médecine dentaire.

>> Création d'un médecin référent pour les jeunes qui s'installent, obligation de faire des stages etc, pour le détail des mesures du gouvernement, c'est ici

Des mesures suffisantes ? Loin d'être coercitives, les mesures du gouvernement ont plutôt reçu un avis favorable chez les médecins. Même s'ils reconnaissent qu'elles ne sont pas suffisantes. "Car ce qui rebute nombre de médecins, au moment de s’installer en milieu rural, ce n'est pas tant l'aspect financier mais surtout la charge de travail supplémentaire et l’isolement géographique et social que cela implique. Quand vous exercez en milieu rural, il y a en effet du travail, beaucoup de travail même. Vous n’avez donc pas grand mal à vous en sortir financièrement", témoignait ainsi, en décembre, un jeune médecin dans une tribune sur le NouvelObs.com.

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Les jeunes médecins ont des idées... L'Association nationale des étudiants en médecine de France propose ainsi de mettre en circulation des véhicules de santé pluriprofessionnels, avec à leur bord des professionnels de santé en tout genre se déplaçant sur les terrains désertés. D’autres médecins, blogueurs ceux-là, évoquent également la création de maisons universitaires de santé, l'équivalent pour la médecine de ville des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour l'hôpital.

>> Llire aussi : les médecins de la Toile ont des idées

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… Des Sénateurs aussi, mais pas les mêmes. À l'inverse, certains élus préconisent des mesures bien plus drastiques. Dans un rapport que s'était procuré Europe 1 en février dernier, des sénateurs proposaient d'exclure de l'Assurance-maladie les médecins qui choisiraient de s'installer dans des zones déjà saturées. Leurs patients n'étant plus remboursés par la Sécu, il serait alors difficile pour un jeune de se constituer une clientèle. Un tel système, appliqué aux infirmières en 2008, aurait provoqué une hausse de 33% des installations dans les zones sous dotées. Mais Marisol Touraine, opposée à toutes mesures coercitives, a pour le moment laissé ce rapport (co-écrit par un socialiste et un centriste) au fond d'un placard.