Une fausse chercheuse trouve un vrai poste d'éditrice dans des revues scientifiques

Inventée par des chercheurs polonais, "Anna O. Szust" a servi à démontrer le manque de sérieux de certaines revues scientifiques qui l'embauchaient, sans vérifier.
Inventée par des chercheurs polonais, "Anna O. Szust" a servi à démontrer le manque de sérieux de certaines revues scientifiques qui l'embauchaient, sans vérifier. © SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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avec AFP
Inventée par des chercheurs polonais, "Anna O. Szust" a servi à démontrer le manque de sérieux de certaines revues scientifiques qui l'embauchaient, sans vérifier...

Elle s'appelle Anna O. Szust. Se disant chercheuse en sciences sociales, elle postule auprès de publications scientifiques pour entrer dans leur comité éditorial. Certaines revues la recrutent sans rien vérifier. Le hic, c'est que cette femme n'existe pas...

Anna a été inventée de toutes pièces par des chercheurs polonais soucieux de démontrer le manque de sérieux de certaines revues scientifiques. D'ailleurs, Oszust signifie fraude en polonais. "Des milliers de revues académiques ne recherchent pas la qualité. Elles existent d'abord pour soutirer des honoraires aux auteurs": "ce sont des revues rapaces", estime la chercheuse Katarzyna Pisanski, dans un commentaire publié mercredi dans la revue Nature.

"Madame Fraude". Psychologue à l'Université de Varsovie et à celle de Brighton, Katarzyna Pisanski et ses collègues ont inventé en 2015 le personnage d'Anna O. Szust. Diplômée, s'intéressant aux neurosciences et aux sciences sociales, elle n'a jamais publié dans des revues connues et n'a aucune expérience comme éditrice. "Mme Fraude" a envoyé son CV et une lettre à de motivation à 360 revues, dont certaines jugées sérieuses et d'autres ayant mauvaise réputation.

Avant de pouvoir être publiés dans une revue, les articles sont lus par des éditeurs scientifiques qui regardent si le papier est digne d'être examiné. Ils décident en comité si l'article doit être accepté, refusé ou révisé. Un rôle important et prestigieux.

Recrutée par 48 revues. Sur les 360 titres, 120 figurent sur l'annuaire du "Journal Citation Reports" (JCR), regroupant des titres remplissant certains critères de qualité. Aucun n'a accepté "Mme Fraude". 120 sont dans l'"Annuaire des Journaux en accès libre" (DOAJ). Huit d'entre eux ont recruté Anna. Enfin, 120 apparaissent sur une liste noire qui recense quelque 10.000 revues en accès libre "potentiellement ou probablement rapaces", selon Katarzyna Pisanski. Elle a été établie par Jeffrey Beall, un bibliothécaire de l'Université du Colorado. Quarante revues de cette liste ont accepté de recruter Anna.

Sans expliquer pourquoi, Jeffrey Beall a retiré sa liste noire en janvier, alors que l'étude des chercheurs polonais était terminée, relèvent ces derniers. Au total 48 titres ont dit oui à "Mme Fraude" dont quatre lui ont proposé le titre de rédacteur en chef sur le champ. Personne n'a essayé de contacter son université pour vérifier son CV. Une douzaine de revues se sont montrées prêtes à recruter Anna à condition qu'elle apporte de l'argent d'une façon ou d'une autre, alors qu'elle-même n'est pas rémunérée pour ses services. Ou au moins en l'y incitant fortement.

Le problème grandissant des papiers scientifiques non rigoureux. Il lui a été proposé de verser de l'argent pour s'inscrire à la revue ("only 650 dollars"). De faire une donation, de soumettre ses propres articles moyennant le versement d'honoraires. Ou encore de partager les profits tirés de certaines publications ("60% pour nous, 40% pour vous). "Le nombre de revues rapaces a augmenté de façon alarmante", s'inquiètent les chercheurs polonais, qui évoquent le chiffre de plus de 500.000 articles publiés en 2015. "Sans comité éditorial crédible, les papiers scientifiques non rigoureux vont constituer un problème grandissant", estiment ces chercheurs.