Pourquoi les orthophonistes donnent de la voix

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IMAGE D'ILLUSTRATION - Une manifestation d'étudiants orthophonistes, en 2007. © PATRICK KOVARIK / AFP
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Les étudiants et professionnels en orthophonie se mobilisent depuis le mois de septembre, pour obtenir une rémunération conforme à leur niveau d'étude. 

Les orthophonistes haussent le ton. Entre 120 et 150 étudiants et professionnels s'étaient donnés rendez-vous mardi à Paris, devant l'hôpital de La Pitié Salpêtrière. Plusieurs dizaines se sont également réunies à Bordeaux, pour interpeller le gouvernement. Principal objet de la protestation : le salaire des orthophonistes dans la fonction hospitalière. Aujourd'hui, un orthophoniste est payé 7,50 de l'heure à l'hôpital. Selon les organisations syndicales, cela correspond à la rémunération d'un métier valorisé à Bac+2 dans le secteur. Or, la formation pour devenir orthophoniste débouche, depuis 2013, sur un diplôme reconnu à Bac +5.

La mobilisation se généralise. Une centaine de manifestants à Toulouse, Poitiers, Lyon ou Marseille, 80 à Caen, 65 à Rouen, plusieurs dizaines à Besançon et Nancy… Avant Paris et Bordeaux ce mardi, des manifestations d'étudiants et de professionnels ont déjà eu lieu un peu partout en France depuis le mois de septembre. Et un appel à une mobilisation nationale a été lancé pour le 3 novembre par les principaux syndicats du secteur.

Selon les organisations syndicales, le faible niveau de rémunération à l'hôpital ne pénalise pas seulement les conditions de vie des orthophonistes qui  auraient opté pour la Fonction publique. Il risque aussi d'entraîner une pénurie de professionnels qualifiés. "Cette absence de reconnaissance contribue à la disparition des orthophonistes à l'hôpital : les postes vacants sont alors transformés ou carrément supprimés", dénonce la Fédération des orthophonistes de France. "Il n'est déjà plus possible de prendre de stagiaires à l'hôpital puisque pour les encadrer, il faut des professionnels avec plus de trois ans d'expérience. Des patients dans l'urgence ne sont plus soignés", énumère la FoF dans un communiqué.

"Dans les hôpitaux, on ne soigne pas les mêmes pathologies qu'en libéral ; par exemple, un patient avec un AVC a besoin de voir un orthophoniste un jour après l'accident. C'est donc une part de notre formation qu'on ne peut pas recevoir", témoigne également Barbara, en deuxième année, citée par France Bleue Besançon. "Une jeune fille de 20 ans qui a eu un accident de la route. Elle est restée trois mois à l'hôpital, elle ne pouvait pas parler. Il n'y avait pas d'orthophoniste alors qu'on sait qu'il faut être pris en charge le plus vite possible pour bien récupérer", renchérit une professionnelle.

Y a-t-il vraiment pénurie ? Dans les chiffres, à première vue, la situation semble toutefois plus nuancée. Pour l'instant. En effet, le nombre des effectifs d'orthophonistes en milieu hospitalier est en augmentation constante. De 1.472 professionnels en 2010, on est passé à 1.813 au 1er janvier 2016, selon la Fédération nationale des orthophonistes. Mais l'augmentation reste tout de même moins fulgurante que celle des effectifs d'orthophonistes dans le libéral, passés de 15.384 en 2010 à 19.820 aujourd'hui. L'exercice libéral du métier est passé de 19% des professionnels en 1970 à plus de 80% aujourd'hui. Et selon la Fédération nationale des étudiants en orthophonie, seuls 5% des nouveaux diplômés opteraient pour le salariat, ce qui laisse présager que la tendance n'est pas prête de s'inverser.

Que propose le gouvernement ? Après plusieurs groupes de travail consacrés au sujet ces dernières années, le gouvernement avait avancé plusieurs mesures. Dans un premier temps, le ministère de la Santé leur a proposés une revalorisation de la rémunération à Bac +3. Face au refus des organisations syndicales, qui demandent une rémunération à Bac+5, le gouvernement a proposé, en avril dernier, une prime mensuelle de 120 euros bruts pour un professionnel titulaire exerçant dans une zone "exerçant dans une zone avec un risque significatif de fragilisation de l'offre soins". Une mesure rejetée en bloc.

"Ces primes ne sont pas prises en compte pour la retraite des agents et sont l’expression de la précarisation des carrières et des emplois", dénonce dans un communiqué une intersyndicale composée de la Fédération national des orthophonistes, de la Fédération nationale des étudiants en orthophonie, de la CGT, la CFTC, de FO ou encore de SUD. "Face à des salaires de base inadaptés, ces primes ne peuvent rien régler. Elles aggravent les inégalités et la précarité. Le niveau et la complexité des critères d’attribution ne sont évidemment pas une solution sérieuse à l’absence d’attractivité des salaires… Le gouvernement n’a manifestement aucune volonté réelle de mettre fin aux inégalités d’accès aux soins dénoncées partout et par tous", peut-on ainsi lire dans le communiqué publié le 25 avril dernier. Le ministère de la Santé n'a, pour l'heure, pas donné de nouveau rendez-vous aux syndicats pour formuler de nouvelles propositions.