Politique, économie, international : l’interview de Macron au "Point" décryptée

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Hélène Jouan, Axel de Tarlé et Vincent Hervouët, édité par R.D. , modifié à
Le président de la République a accordé une interview fleuve à l’hebdomadaire. Un entretien riche en enseignements sur la vision du président de la République. Analyse des éditorialistes d'Europe Matin.
EDITO

Emmanuel Macron fait sa rentrée politique dans Le Point. Le président de la République a accordé une très longue interview à l’hebdomadaire, dans laquelle il détaille la vision de son quinquennat, qui ne fait finalement que débuter. Les éditorialistes d’Europe Matin, présenté du lundi au vendredi par Patrick Cohen, Hélène Jouan pour la politique, Axel de Tarlé pour l'économie et Vincent Hervouët pour l'international, décryptent l’entretien.

Politique : Une pensée assumée mais (trop) complexe

Un exercice réussi. On va commencer par la fin, réussi ou raté l’exercice ? Pour l’Elysée, il s’agit de renouer avec le rôle régalien du président de la 5ème république, prendre de la hauteur, fixer le cap. L’exercice est réussi, parce qu’il rappelle dès le départ le motif et les circonstances de son élection. "La brûlure de l’attente, du populisme, de la colère, je les ai encore là", dit-il. Réussi aussi parce qu’il ne dévie pas d’un iota de ce qu’il avait dit pendant sa campagne, que c’est une de ses forces, parce qu’il réexplique point par point la transformation profonde qu’il entend mener, en nous présentant toutes les pièces du puzzle.

La limite ? La complexité de son propos. Un bémol, toutefois, sur le média choisi. L’interview du Point est de haute tenue, tant dans les questions que dans les réponses, mais franchement, un seul exemple : la question sur le choix entre "le modèle d’assurance sociale bismarckien ou beveridgien", à qui ça parle, pour de vrai ? Cela dit peut être les limites de l’exercice. "La pensée complexe" du président nécessite sans doute de la place pour s’exprimer, mais si la complexité de cette pensée n’est pas partagée par le plus grand nombre, l’effet recherché n’est pas forcément atteint. Il rassure sans doute ceux qui ont voté pour lui, pas forcément les autres, et notamment les "sacrifiés" du système comme il les appelle, ceux pour qui il dit vouloir transformer pourtant la société.

Il assume tout. Sur le fond, alors qu’on a connu des présidents qui, au sortir de l’été, déjà assommés par la chute de leur popularité, effectuaient une volte-face nette et sans bavure, là, on peut reconnaître qu’Emmanuel Macron assume tout. Il dit enfin leur fait aussi à tous ceux qui osent critiquer sa politique, de François Hollande à la droite, mal venue quand elle pousse des cris d’orfraie sur les efforts à faire, quand elle en promettait dix fois plus dans son programme, jusqu’à Jean-Luc Mélenchon, à qui il reproche de n’apporter aucune solution pour les vrais sacrifiés. Il assume tout, il ne se reconnaît au passage aucune erreur.

Economie : Pas de contreparties pour les entreprises

"Libération des énergies". Emmanuel Macron parle beaucoup d'économie dans cette interview. Avec deux points principaux. Le premier, en début d'interview, quand il parle d'une nécessaire "libération des énergies". Le mot est fort. Ça veut dire qu'il considère que les entrepreneurs aujourd'hui sont emprisonnés, "corsetés" dit-il, par les règles. Pourquoi c'est fort ? Parce que quand quelqu'un est en prison, on le libère, sans rien lui demander en échange. Et ça, c'est totalement nouveau. Là, avec cette loi Travail, on facilite la vie des entreprises (des entrepreneurs) sans rien leur demander en échange.

Au bout du Hollandisme. De ce point de vue, Emmanuel Macron va au bout du Hollandisme. Car c'est François Hollande, avec le rapport Gallois, qui dès 2012 avait fait ce constat tout simple. "Ce sont les entreprises qui créent des emplois". Donc, il faut les aider, leur faciliter la vie. Un exemple : Emmanuel Macron annonce dans l'interview que - désormais - dans les entreprises de moins de 50 salariés, le patron pourra directement négocier avec ses employés, sans présence syndicale.

Le chômage n'est plus un accident. Emmanuel Macron dit que nous sommes entré dans un monde "schumpétérien". Schumpeter, c'est cet économiste qui avait théorisé la "destruction créatrice". C’est un constat très dur. En clair, Cela veut dire qu'il est inutile de vouloir défendre des entreprises, des usines, sur le déclin, type Whirlpool ou Florange. C'est très dur pour les salariés. D'ailleurs, Emmanuel Macron le reconnait : le chômage, maintenant, n'est plus un accident, c'est malheureusement devenu un risque très prégnant tout au long de la vie active. C'est pour cela qu'Emmanuel Macron veut élargir, ce droit aux indemnités chômage à tous les actifs. Ensuite bien sûr, pour rebondir, il faudra mettre le paquet sur la formation.

Europe : habile mais un brin présomptueux

Il s'expose sans prendre de risque. En politique étrangère, il s’expose, il s’exalte sur l’Europe mais il court peu de risques. Dans cette interview, il ne rentre pas dans le détail, notamment pour la zone euro, on sait qu’il veut un budget, un ministre des finances, un parlement. Mais il  donne le cap. L’ Europe puissante, qui rivalise avec l’Amérique et la Chine. C’est une idée très française, pas sûr qu’elle plaise à nos voisins anglo-saxons ou scandinaves. Emmanuel Macron ne doute de rien. Il faut oser prétendre : "Nous devons être forts pour pouvoir changer l’Europe en profondeur, ce qui sera l’objectif du trimestre à venir". Changer en profondeur en cent jours une machine aussi bloquée, quel défi ! Et ce nous de majesté, c’est un nous singulier, la France ne fait pas l’Europe comme au temps de Napoléon, l’Europe se fait ou se défait à 27 ou 28…

Il fixe l'horizon européen. Là où le Président est vraiment habile, c’est qu’il parle en fédéraliste, pour une alliance toujours plus étroite avec l’Allemagne, des standards communs en matière sociale, fiscale et environnementale. Et en même temps, il utilise les mots de souveraineté, d’héroïsme, de grandeur. Il dit qu’il faut "ré-investir un imaginaire de conquête". Et il fixe l’horizon européen, qui en général parle davantage aux financiers qu’aux aventuriers.

Une vision védrino-villepinienne. Enfin, il ne récuse pas l’adjectif gaullo-mitterandien… C’est flou, pourquoi dire non ? C’est vrai : il se cabre et se cambre, ça rappelle le passé. Mais il est en fait surtout védrino-villepinien. Disciple d’Hubert Védrine quand il acte l’échec d’une Europe qui s’est rendue détestable. Et villepinien, dans le style lyrique, quand il exalte le récit historique, récuse la posture victimaire. C’est toujours mieux que la vision bien-pensante et condescendante avec laquelle les élites parlent de l’Europe en faisant la leçon aux peuples qui rechignent.