Le spectre de Donald Trump plane sur la présidentielle française

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© Timothy A. CLARY / AFP
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Si la récupération politique va bon train, les effets concrets de la présidentielle américaine sur les scrutins français ne restent que très hypothétiques.

Donald Trump aux États-Unis, Marine Le Pen ici. Un bon nombre de responsables politiques français semblent avoir adopté ce proverbe improvisé depuis la victoire surprise du milliardaire républicain à la présidentielle américaine. La présidente du Front national elle-même interprète ce résultat électoral outre-Atlantique comme la prémisse de son succès en 2017.

Concours de récupération. Elle n'est d'ailleurs pas la seule. Les soutiens de Nicolas Sarkozy, dont certains se disaient, ces dernières semaines, "décontenancés" par la perte de vitesse de leur champion dans les sondages, ont été galvanisés par la victoire de Donald Trump. Et y voient un signe que tout est encore possible pour l'ancien président français. Même Jean-Frédéric Poisson, pourtant bon dernier dans la course à la primaire de la droite, estime que le résultat du scrutin américain lui "ouvre des perspectives".

La gauche de la gauche n'est pas en reste dans le concours à la meilleure récupération politique. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, se compare à Bernie Sanders qui, selon lui, aurait gagné face à Donald Trump. Quand Hillary Clinton, qui trouve son équivalent au Parti socialiste en France, a échoué car elle incarnait "le système".

Des effets qui "s'annulent". Au-delà de ces gesticulations politiques, cependant, les effets concrets de l'élection de Donald Trump sur les prochaines échéances électorales françaises sont difficiles à mesurer. "Il y a un effet Marine Le Pen possible", concède le politologue Olivier Duhamel, "dans le sens où cela témoigne de la montée du populisme", dont la présidente du Front national use à l'envi dans sa campagne. De la même manière, "en se présentant comme le candidat le plus anti-système de la primaire de la droite", Nicolas Sarkozy peut espérer surfer sur la vague venue de l'autre côté de l'Atlantique. "Mais d'un autre côté, on peut aussi imaginer un effet pro-Juppé, avec une remobilisation des électeurs qui ne veulent précisément pas qu'une figure similaire soit élue en France." Au final, selon Olivier Duhamel, tous ces effets "s'annulent".

" Il y a un effet Marine Le Pen possible, dans le sens où cela témoigne de la montée du populisme. "

Candidats similaires… Il est même possible qu'il n'y ait purement et simplement pas d'effets sur l'électorat français. Certes, l'élection de Donald Trump semble confirmer la stratégie du Front national, dans le sens où le candidat républicain, comme Marine Le Pen, se présentent comme "anti-système", pourfendeurs d'une élite corrompue qui a détenu le pouvoir pendant des dizaines d'années sans être capable d'améliorer le quotidien des citoyens. Certes, le nouveau président américain a quelques points communs avec Nicolas Sarkozy : tous deux se disent contre une "pensée unique" qui gangrènerait l'oligarchie. Mais "on a affaire à un électorat, des règles électorales et des personnalités différentes", rappelle le politologue Thomas Guénolé.

…mais règles électorales très différentes. Les règles à elles seules pourraient bien neutraliser toute "trumpisation" des résultats électoraux français. "Aux Etats-Unis, Donald Trump est élu alors qu'il est arrivé deuxième en termes de voix", souligne ainsi Thomas Guénolé. De fait, l'élection américaine est à suffrage indirect. Le candidat républicain a donc obtenu plus de grands électeurs que sa concurrente Hillary Clinton, même si cette dernière a recueilli plus de suffrages de citoyens. Impensable en France, où le scrutin est direct. De même, l'élection présidentielle américaine est à un tour unique, quand la française en compte deux. Aux États-Unis, Donald Trump a donc également bénéficié d'un éparpillement des voix sur les petits candidats, notamment Gary Johnson du Parti libertarien et Jill Sein, représentante des écologistes. "En France, Marine Le Pen reste exposée à un risque de 'tout sauf Le Pen' du fait même d'un second tour", résume Thomas Guénolé.

Enfin, le bipartisme est nettement plus marqué aux États-Unis qu'en France, où "les centristes ont un rôle pivot. Ils sont trop faibles pour qualifier leur candidat mais suffisamment fort pour jouer les arbitres". Ainsi, en 2012, après l'élimination de François Bayrou, beaucoup s'étaient reportés sur François Hollande au second tour, ce qui a permis à la gauche de l'emporter.

" Aux Etats-Unis, Donald Trump est élu alors qu'il est arrivé deuxième en termes de voix. En France, Marine Le Pen reste exposée à un risque de 'tout sauf Le Pen'. "

Un "front républicain" qui marche. Au niveau de l'électorat aussi, Thomas Guénolé veut croire que Jean-Pierre Raffarin, qui a estimé que "la ligne de front de la raison, depuis le Brexit, n'existe plus", a tort. Selon le politologue, les électeurs ont maintes fois prouvé qu'ils étaient adeptes du "front républicain" pour s'opposer à l'extrême droite. Quitte, pour les sympathisants de gauche, à voter, aux régionales 2015 par exemple, massivement pour Christian Estrosi en Paca. Alors que ce dernier est loin d'incarner un courant de droite modérée. "L'anti-racisme français, même s'il décline, reste plus puissant qu'aux États-Unis, où les dernières lois de ségrégation ont disparu il y a à peine cinquante ans. Un Donald Trump reste beaucoup moins choquant aux Etats-Unis que la dynastie Le Pen en France."

Seule déduction : les sondages se trompent. Finalement, les tentatives de récupération se fondent surtout sur un argument : les sondeurs américains n'avaient pas prévu la victoire de Donald Trump, donnant même une confortable avance à Hillary Clinton. "Cela relativise grandement" les enquêtes d'opinions, a ainsi affirmé Eric Ciotti, porte-parole de Nicolas Sarkozy, à Franceinfo. Mais en déduire que, parce que les sondages ne sont pas toujours exacts, alors les candidats aujourd'hui à la peine sont promis à la victoire, c'est aller un peu vite en besogne. "La seule déduction qu'on peut en faire, c'est que les sondages se trompent, mais cela ne dit pas dans quel sens", conclut Thomas Guénolé.

Pure instrumentalisation. Pour le politologue, "chacun voit midi à sa porte". L'effet Trump est d'autant plus incertain que les tentatives de récupération sont nombreuses. Et à ce petit jeu, la gauche ne fait pas mieux que la droite. Jean-Luc Mélenchon se rêve en Sanders français ? "Selon lui, l'élection américaine sert simplement à dénigrer le mécanisme de la primaire, qui n'investit pas le bon candidat", balaie Olivier Duhamel. "C'est de la pure instrumentalisation", dont on ne peut déduire aucune conséquence sur l'électorat français.