Emmanuel Macron lance-t-il trop de réformes ?

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Emmanuel Macron a engagé une vingtaine de réformes depuis son arrivée à l'Élysée. © GERARD JULIEN / AFP
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En dix mois, le gouvernement a engagé une vingtaine de réformes de fond, la dernière en date sur la SNCF. Une abondance inédite qui pourrait se retourner contre lui.

Le gouvernement en fait-il trop ? Responsables syndicaux et élus de l'opposition se plaignent depuis quelques jours de l’avalanche de réformes engagées par l'exécutif en ce moment. A tel point que le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a tenu à répondre à "ceux qui souhaiteraient que le rythme ralentisse" après le Conseil des ministres mercredi. Alors Emmanuel Macron va-t-il trop vite, au risque de s’aliéner les parlementaires et de perdre les Français en chemin ?

Stratégie de la multiplication. Parmi ceux qui prennent la parole ouvertement, Christian Jacob ne mâche pas ses mots : "Macron lance trois réformes par semaine ! La semaine dernière, on a eu droit à la réforme de la fonction publique, à l’organisation de l’islam en France, aux hôpitaux. Cela peut séduire le microcosme mais les sondages montrent que les Français sont de plus en plus sceptiques", lâche le chef de file des députés Les Républicains dans Le Parisien. Un peu exagéré mais pas faux non plus pour le politologue et éditorialiste d’Europe 1 Olivier Duhamel : "Pour trouver trace d’un rythme de réformes similaire, il faut remonter au début de la 5ème République, en 1959".

" Le rythme est dense, parfaitement assumé par le président de la République "

Olivier Duhamel a fait les comptes : "depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron a concrétisé, engagé ou lancé 26 réformes. Un tiers sont déjà faites et beaucoup sont en chantier, c’est beaucoup en si peu de temps". Une "stratégie de la multiplication" complètement revendiquée par l’exécutif. "Le rythme est dense, parfaitement assumé par le président de la République", a expliqué le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux mercredi, s'adressant à "ceux qui souhaiteraient que le rythme ralentisse ou trouvent que trop de choses se lancent en même temps". "Ce ne sont pas des réformes à la petite semaine, des ajustements du modèle que nous avons pu connaître dans les décennies passées, mais bien des transformations profondes", selon lui.

Profiter de la dynamique de l’élection. Si le gouvernement mène ainsi de front toutes les batailles, c’est parce qu’il peut se le permettre, selon le politologue Stéphane Rozès, interrogé par Europe 1. "Emmanuel Macron dispose d’une légitimité suffisante pour mener de front toutes ces réformes. Il représente une forme de bonapartisme, il s’est donné pour mission de remettre le pays en marche et il a été élu pour ça", rappelle le président de la société Cap (Conseils, analyses et perspectives). "Le gouvernement a une marge de manœuvre grâce à la dynamique de l’élection et veut en profiter pour donner aux Français le sentiment que le pays s’est remis en mouvement."

Toujours dans le même esprit, un "ministre venu d’un autre parti politique" appuie cette "stratégie gagnante" auprès de RTL. "Macron a pris le ballon de rugby au mois de mai, il court - s’il se retourne il sait qu’il est mort - il joue à attrape-moi si tu peux." "Le vrai risque ce serait l’immobilisme", ajoute-t-il. Une attitude logique, estime Olivier Duhamel : "Macron essaye d’en faire un maximum pendant qu’il est porté par la vague de son élection. Il sait qu’elle finira par s’essouffler".

" On passe de la phase de multiplication à une phase d’étalement des réformes "

Le gouvernement lève (un peu) le pied. Sauf que la machine s’est visiblement enrayée depuis quelques jours. Alors que la ministre du Travail Muriel Pénicaud avait promis de présenter son "big bang" de la formation professionnelle mardi, elle a finalement été contrainte de reporter d’une semaine. Puis, Emmanuel Macron lui-même a dû décaler sa prise de parole prévue dans la semaine sur l’avancement de la mission sur la réforme des retraites. Enfin Marlène Schiappa, la secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes, a déclaré mercredi que le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles serait présenté en Conseil des ministres le 21 mars, et non plus le 7 comme annoncé précédemment.

Faut-il y voir un début de remise en question au sein du gouvernement ? "Ce n’est pas une renonciation. Simplement, on passe de la phase de multiplication à une phase d’étalement des réformes", observe Olivier Duhamel. Le texte porté par Marlène Schiappa nécessite plus de temps que prévu pour l'élaboration, plusieurs points comme l'âge du consentement sexuel étant ardus à arbitrer. Mercredi, Benjamin Griveaux a d'ailleurs confirmé que d'autres projets de loi étaient déjà sur la table : logement, justice et enfin révision institutionnelle.

Dans le cas de la formation et des retraites, ce débrayage aurait toutefois pour but de ne pas accumuler les mécontentements. La réforme de la SNCF ayant passablement échaudé les syndicats, rajouter un "big bang" de la formation professionnelle (éloigné de leurs propositions) et un point sur la toujours très sensible question des retraites, c’était prendre un risque considérable pour le gouvernement. Une source gouvernementale citée par Le Monde concède ainsi qu’il "valait mieux laisser retomber la pâte après le ‘big bang’ de Pénicaud, qui a été mal pris par les syndicats".

" Depuis la rentrée, le volcan est en ébullition "

Risque d’explosion sociale. Même s’il ne s’est pas encore réellement matérialisé, le risque de voir les syndicats se mobiliser sérieusement, entraînant les salariés dans leur sillage, est bien réel. "Des fronts syndicaux, parfois durs, peuvent effectivement se mettre en place. Mais pourront-ils perdurer sans le soutien de l’opinion ? Pour l’instant, les Français sont plutôt favorables aux grandes réformes du gouvernement et les mouvements sociaux peinent à s’inscrire dans la durée et à mobiliser", pose Stéphane Rozès. C'est notamment vrai pour la réforme de la SNCF, soutenue par 69% des Français.

Plus que l’opinion publique, pour Olivier Duhamel, l’exécutif devrait surtout craindre les colères sectorielles. "Depuis la rentrée, il y a des frustrations un peu partout : grève chez Carrefour, agriculteurs, les lycéens sur Parcoursup, les magistrats sur la carte judiciaire, le personnel des Ehpad et des hôpitaux, les élus locaux privés de la taxe d’habitation, les gardiens de prison surmenés, les policiers et maintenant les cheminots", liste-t-il. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, a récemment fait remarquer que "trop de fronts sont ouverts à la fois".

Le risque, c’est de revoir un "scénario à la réforme des retraites de 2010", goutte d’eau qui avait fait déborder le vase et entraîné deux semaines de grève et de manifestations dans tout le pays. "Depuis la rentrée, le volcan est en ébullition", illustre Olivier Duhamel. "Il n’est pas impossible qu’il entre en éruption bientôt."