Procès de l'Erika : Total déjà en difficulté

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Administrator User , modifié à
La lecture mardi d'une note interne de Total par l'accusation a mis en difficulté le groupe pétrolier lors de la 2e audience du procès de la catastrophe écologique provoquée en 1999 en Bretagne par le naufrage de l'Erika. Le document, daté de 1998 et saisi chez Total, contient une mise en garde par un de ses responsables des affaires juridiques, à propos des risques judiciaires que présentait l'affrètement de navires pour le transport de produits pétroliers.

Moment fort mardi lors de la 2e audience au procès du naufrage de l'Erika avec la lecture d'une note interne de Total datée de 1998 et rédigée par Bertrand Thouilin, un des responsables des affaires juridiques du groupe. "Le coût d'un accident est toujours très élevé pour l'entreprise (...) Même en l'absence de texte, la responsabilité d'un affréteur peut toujours être recherchée sur le terrain délictuel ou quasi-délictuel pour faute ou négligence dans le choix d'un navire", dit cette note lue à l'audience par le président du tribunal, Jean-Baptiste Parlos.L'Erika, navire vieux de 24 ans battant pavillon maltais et affrété par Total, s'était brisé en deux le 12 décembre 1999 dans une tempête avant de sombrer, deversant 20.000 tonnes de fioul toxique sur 400 km de côtes, tuant des dizaines de milliers d'oiseaux et ravageant la faune et la flore marines. Total, poursuivi pour "pollution maritime et complicité de mise en danger de la vie d'autrui", soutient qu'il n'était pas légalement de son ressort de contrôler l'état du navire. Aux yeux des quelque 70 parties civiles et du parquet, la note de Bertrand Thouilin infirme cette défense. "Il y a une tendance générale des juges à mettre en cause la responsabilité des 'donneurs d'ordre' en matière de transport", dit-elle. "Il est clair que si les affréteurs et/ou les propriétaires ne se préoccupent pas de la qualité des moyens de transport utilisés, ils finiront par y être contraints par le législateur", écrivait le spécialiste juridique de Total. "Le risque est grand de voir les juges se livrer, en l'absence de texte, à des contorsions juridiques pour mettre en cause celui qui dispose de la puissance économique (...)", ajoutait-il. A la barre, Bertrand Thouilin, jugé aussi dans le procès à titre personnel, a convenu : "Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'était prémonitoire". Il a tenté de relativiser la portée de ce document : "Il ne s'agit absolument pas d'une note d'instruction mais d'une note pédagogique, de vulgarisation pour les affréteurs". Le président du tribunal lui a fait valoir : "Vous avez bien conscience que tout ce que vous avez écrit a un poids. J'attire votre attention afin que vous puissiez exercer pleinement vos droits". Total avance que les affréteurs ne sont pas responsables juridiquement après les naufrages, en vertu d'une convention internationale de 1992, sauf dans certains cas précis, comme ceux où ils auraient agi en prenant sciemment un risque. L'accusation estime que l'affaire de l'Erika entre dans ce cas de figure, en s'appuyant sur la note Thouilin. Elle souligne qu'après 1991, date où Total a revendu les derniers navires qu'elle possédait en propre, la société a mis en place sa propre procédure de contrôle, baptisée "vetting", qui visait à vérifier l'état des navires affrétés. Interrogé à la barre, Bertrand Thouilin a minimisé aussi la portée de cette procédure. "En français, on pense souvent au mot 'veto', mais vetting veut dire en anglais ausculter, il ne s'agit pas d'interdire ou de certifier. C'est la même racine que pour le mot vétérinaire", a-t-il déclaré.