"Les textes de Mao sont remarquables mais datés"

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Propos recueillis par Karine Lambin , modifié à
Le philosophe Jean-Claude Milner, ancien maoïste, revient sur son engagement à l’occasion des 60 ans de la République populaire de Chine.

Le philosophe Jean-Claude Milner a été militant de la gauche prolétarienne, incarnation d’un maoïsme à la française, de l’hiver 1968 à l’été 1971. Il revient sur son engagement et les traces que le maoïsme a laissées à l’occasion des 60 ans de la République populaire de Chine.

De quand date votre engagement maoïste ?

Cela a commencé en mai 1968. J’étais à Paris puis je suis allé à Besançon où un ami travaillait. J’ai eu le sentiment d’être plus près de ce qu’il se passait, qu’il y avait une plus grande proximité qu’à Paris entre les usines et les étudiants. J’y ai découvert l’activisme politique.

Et quand vous en êtes-vous écarté ?

J’ai rompu avec la Gauche prolétarienne en 1971. C’était fondamentalement le militantisme politique qui me paraissait être une activité vaine. J’ai lu très tôt un livre qui a beaucoup compté pour moi, Les habits neufs du président Mao de Simon Leys. A la fois j’admettais les faits et je considérais que c’était comme la révolution de 1917 ou la révolution française. La révolution est une forme violente de prise de pouvoir, ça ne se passe pas dans la douceur. On peut appeler ça une forme d’aveuglement qui est dans le droit fil de l’activité intellectuelle. Mais c’est la forme qu’a prise le maoïsme au Cambodge avec les Khmers Rouges qui m’a fait dire "Non, ce n’est pas possible".

Que reste-t-il du maoïsme ?

Je maintiens que les textes de la révolution culturelle sont extrêmement remarquables. Ils ont d’ailleurs une ampleur propre à séduire des intellectuels. Mais c’est à la fois remarquable et daté. Dans mon cas, il reste une forme de raisonnement, une certaine façon de réfléchir à l’histoire politique mondiale en terme de rapports de force. Mais je ne vois aucune trace effective, ni dans la politique ni dans la réflexion intellectuelle, de l’intensité maoïste qui a existé en France de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970. Il ne reste que des traces infinitésimales.

Et en Chine ?

Je crois que la référence à Mao Zedong y est encore extrêmement puissante. A mon avis, la transformation de la Chine en acteur capitaliste majeur est un développement de la pensée maoïste de la même manière que Mao Zedong disait qu’il fallait utiliser le fusil pour mettre fin à la suprématie que les possesseurs de fusil exerçaient sur la Chine. La Chine, qui a longtemps été un partenaire passif de l’histoire du monde, est devenue un acteur majeur. Et à mon avis, ça a toujours été le dessein maoïste par excellence.

Quel regard portez-vous sur les commémorations qui se préparent en Chine ?

Le type de maoïsme qui a été le mien n’impliquait aucun rapport privilégié à l’égard de la Chine. Je n’y suis jamais allé. Il n’y avait pas chez moi de culte de la personnalité de Mao et je n’ai pas ressenti de déchirement comparable à ce qu’ont pu éprouver, je pense, un certain nombre de communistes français à la lecture du rapport de Kroutchev. Je les regarde avec attention au même titre qu’un certain nombre de faits d’actualité. Il me semble que c’est un moment important pour les Chinois. A travers la célébration de Mao, c’est la célébration du libérateur qui s’opère.