Le duel télévisé face à Mitterrand, vu par Michèle Cotta

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En 1988, lors du débat télévisé entre les deux tours de la présidentielle, le chef de l'état Mitterrand enfonce son rival et premier ministre Chirac.

28 avril 1988. Studio 101 de la Maison de la radio, 20 heures. Jacques Chirac et François Mitterrand s’apprêtent à s’affronter lors du traditionnel débat télévisé d’entre deux tours de la présidentielle. L’ambiance est tendue. François Mitterrand est arrivé largement en tête au premier tour avec 34,11% des voix. Jacques Chirac a obtenu, lui, 19,96% des suffrages exprimés. Les deux hommes sortent de deux ans de cohabitation, la première de l’histoire de la Ve République.

Deux séquences resteront dans les annales. L’affaire Gordji tout d'abord...

 

...et la célèbre phrase de François Mitterrand ensuite : "Mais vous avez tout à fait raison, monsieur le premier ministre."

 

Michèle Cotta * animait le débat, aux côtés d'Elie Vannier. Elle raconte ce qui s’est passé hors caméra :

"Le premier souvenir que j’ai, c’est leur arrivée. Mitterrand d’un côté, assez professionnel, Chirac de l’autre, beaucoup plus nerveux et tendu, presque angoissé. Le débat a commencé normalement et puis le dossier iranien est arrivé sur la table. A ce moment précis, le débat nous a échappé. On a laissé longuement se défier Chirac et Mitterrand avec cette impression curieuse que celui qui mentait n’était pas forcément Jacques Chirac et celui qui disait la vérité n’était pas forcément lui non plus… On s’est retrouvé face à des zones sombres de l’histoire du terrorisme en France et on sentait que personne n’avait la clef, ni la vérité.

A cet instant, on a eu peur que le débat dégénère. Avec Elie Vannier, on s’est dit : "Qu’est ce qu’on fait s’ils se prennent vraiment au collet devant la France entière ?" Mais comme toujours, ils ont été à la fois plus habile et plus politique qu’on n'a pu le craindre à un moment donné.

Au fond, Jacques Chirac n’était pas encore assez mûr pour un débat de ce type. A propos du dossier iranien, il a fait quelques naïvetés du genre "Est-ce que vous pouvez me le dire les yeux dans les yeux ?" Or, Mitterrand est effectivement capable de soutenir un combat oral et verbal là-dessus. Il y avait un peu de naïveté de la part de Chirac. A ce moment là, il n’était pas à la mesure de son adversaire. Le fait d’avoir été premier ministre de François Mitterrand pendant deux ans lui avait conféré un rôle de second dont il n’a pas réussi à se dépêtrer pendant le débat.

Je n’ai pas regardé le visage de Chirac quand Mitterrand lui a lancé sa fameuse phrase. En fait, je regardais Mitterrand en me disant "il est vraiment gonflé". Je ne m’attendais pas à ce qu’il lui réponde "vous avez tout à fait raison …" et j’ai compris que la vanne venait après "... Monsieur le Premier ministre".

L’émission s’est terminée. François Mitterrand est sorti tandis que Jacques Chirac, conformément à son personnage, a serré la main de tous les techniciens pour les remercier. Et s’apercevant que Jacques Chirac était resté dans le studio, François Mitterrand est revenu et a à son tour serré les mains. Ca a été une espèce de petit jeu assez comique mais qui a finalement bien détendu les choses."

Dans ses mémoires, Jacques Chirac revient sur ce duel télévisé :

"Je n’attendais rien de bon de ce face-à-face, n’ayant jamais été très à mon aise, comme on sait, à la télévision. Est-ce chez moi une forme de timidité ou de stress que je ne parviens pas à dominer ? Toujours est-il que je n’ai jamais réussi à être tout à fait naturel ni vraiment sympathique dans ce genre d’exercice… Mais ce qui a joué contre moi, ce soir-là, durant la fameuse séquence concernant l’affaire Gordji, ce n’est pas, de ma part, un quelconque embarras - je me sentais, au contraire, plutôt sûr de moi à ce moment là -, mais le fait que les téléspectateurs n’aient pu constater celui de mon adversaire.

François Mitterrand avait obtenu, en effet, qu’il n’y ait aucun "plan de coupe" permettant de voir les réactions de l’autre candidat. Quand je lui ai demandé s’il pouvait réfuter ma " version des choses en me regardant dans les yeux" et qu’il a déclaré, en apparaissant seul à l’écran pour me répondre : "dans les yeux, je la conteste", je fus le seul à pouvoir observer que François Mitterrand n’en faisait rien, détournant plutôt son regard au lieu de le fixer dans le mien, comme je le lui demandais. C’est ainsi que notre confrontation s’est trouvée amputée d’un instant de vérité qui aurait pu être décisif en ma faveur. Mais c’est l’inverse qui s’est produit…"

Fabienne Cosnay

* Cahiers secrets de la Ve République , tome III, 1986-1997, Editions Fayard.