"Le bruit et l’odeur", vu par Eric Doligé

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1991 - Lors d'un dîner-débat à Orléans, Chirac prend le micro pour évoquer la politique d'immigration en France. Et dérape.

19 juin 1991. Au cours d'un dîner-débat du RPR à Orléans, Jacques Chirac, alors président du RPR et maire de Paris, évoque un éventuel recadrage de la politique d’immigration en France. Il relate une visite qu’il vient d’effectuer avec Alain Juppé dans le quartier de la Goutte d'Or, à Paris et parle des difficultés de voisinage avec certaines familles d’immigrés pour un "travailleur français" habitant ce quartier. "Si vous ajoutez le bruit et l'odeur, le travailleur français devient fou..." poursuit t-il. Rires dans la salle. Et tollé dès le lendemain.

 

Eric Doligé, alors le président du RPR du Loiret, était l’organisateur de ce dîner-débat. Il revient sur l’atmosphère qui a entouré ce dérapage :

"C’est moi qui ai invité Jacques Chirac à ce dîner-débat devant 1.300 militants locaux. L’ambiance était très détendue. En tant qu’invitant, j’étais assis à côté de lui. Son discours était totalement improvisé. Quand il a raconté son anecdote, la salle a ri de bon cœur. Comme on rit d’une plaisanterie. Les militants n’ont pas du tout été choqués.

Dès qu’il a prononcé ces mots, j’ai vu la trentaine de journalistes présents quitter la salle les uns après les autres. Ils allaient probablement chercher un téléphone pour prévenir leurs rédactions. S’il n’y avait pas eu de médias, il ne se serait probablement rien passé. C’est la presse nationale qui a déclenché la polémique.

Sur le coup, Jacques Chirac n’a pas du tout réalisé que ses propos avaient été mal perçus. Son entourage politique non plus. Sa fille Claude Chirac et sa collaboratrice Lydie Gerbaud ont, elles, tout de suite senti qu’il se passait quelque chose. A la fin du dîner, elles sont allées prévenir Jacques Chirac. Claude m’a dit : "Il n’y a que ça qui va être retenu de son discours".

Je n’en ai jamais reparlé avec Jacques Chirac. Je crois que c’est un épisode qui l’a profondément marqué. Pendant longtemps, quand je lui parlais du Loiret il n’y avait pas de problème mais dès que je prononçais le mot "Orléans", il y avait un blanc."

Dans ses mémoires, Jacques Chirac revient sur cet épisode :

"Lors d'un dîner débat à Orléans, le 19 juin 1991, j'ai été amené à stigmatiser les carences d'une politique d'immigration qui ne sert plus que les intérêts du Front national à force d'être mal ressentie par l'opinion. Je parle à ce sujet d'"overdose", puis, évoquant les difficultés de voisinage pour un "travailleur français" habitant La Goutte-d'Or, avec certaines familles d'immigrés, j'ajoute à cela la gêne occasionnée par "le bruit et l'odeur"…

"Formule malencontreuse, inutilement provocante, qui ne reflète en rien le fond de ma pensée et ne peut qu'être mal interprétée. Elle soulève un tollé chez ceux qui veulent y voir une tentative de capter les voix du Front national (…). Il ne s'agissait nullement dans mon esprit de concéder quoi que ce soit, pour des raisons électorales, aux théories d'un parti avec lequel j'ai refusé toute alliance (…). Mais de lever un tabou concernant la question même de l'immigration, telle qu'elle se posait réellement dans le pays, et les solutions qu'il fallait lui apporter sous peine, justement, de faire le jeu du Front national."

Fabienne Cosnay