Elections départementales : ces incompréhensibles résultats

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Louis Hausalter , modifié à
IMBROGLIO - Plusieurs partis, comme les écologistes et le PCF, contestent les scores officiels du premier tour. Il est vrai que le nouveau mode de scrutin et la méthode de comptabilisation compliquent leur interprétation.

Qu'on se le dise : au premier tour des élections départementales, tout le monde a gagné. L'UMP claironne sa première place, le FN souligne son score "historique" et le PS se félicite d'avoir bien résisté. Même chez ceux qui ont réalisé les plus faibles scores, on refuse de parler de défaite. Quitte à contester les résultats officiels donnés par le ministère de l'Intérieur, sur lesquels la confusion demeure, en raison de la méthode de comptabilisation choisie.

La gauche de la gauche n'est pas d'accord. Prenez les écologistes. Selon les chiffres officiels, ils n'ont réuni que 2% des suffrages dimanche. Pourtant, lundi, Europe Ecologie-Les Verts a publié son propre "bilan du premier tour", en affirmant que les scores du ministère n'avaient "pas beaucoup de sens". Le parti estime son score moyen à 9,7% dans les cantons où il présentait des candidatures autonomes. Le Front de gauche aussi conteste les chiffres officiels, affirmant que ses candidats "réalisent un score de 9,4% au niveau national", contre 4,7% d'après le ministère de l'Intérieur.

Par ailleurs, sur Twitter, de nombreux téléspectateurs ont fait part de leur incompréhension, dimanche soir, face aux écarts dans les estimations données par les différentes chaînes.

Des binômes bipartisans qui compliquent tout. Pourquoi cette confusion sur les chiffres ? Elle tient d'abord à la nature de l'élection elle-même. "Les élections cantonales sont toujours compliquées parce qu'il y a beaucoup de candidats sans étiquette, qu'il faut choisir de rattacher ou non à une force politique", explique à Europe 1 Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop. "L'introduction des binômes de candidats a encore renforcé cette complexité".

Le nouveau mode de scrutin n'a en effet pas simplifié le travail des instituts de sondage et des médias. Les candidats devaient se présenter en binômes homme-femme. Or, dans de nombreux cas, deux candidats de partis différents ont fait alliance. Toute la difficulté consistait donc à coller une étiquette politique sur ces tandems, de façon à déterminer comment les comptabiliser le jour du scrutin.

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Le PS additionne son score et celui de ses alliés. Pour cela, le ministère de l'Intérieur a élaboré une grille de "nuances politiques", censées définir la couleur politique d'un binôme de candidats (cf document en bas d'article). Ainsi, les binômes composés de deux candidats PS se sont vus attribuer la nuance "PS". Jusqu'ici, c'est logique. L'opération se compliquait dans les cas où un candidat PS s'était allié à un autre candidat de gauche. C'est alors la nuance "union de la gauche" qui a été utilisée. Sauf que dimanche soir, le score du PS a été donné en additionnant les nuances PS + union de la gauche. Alors qu'il n'a obtenu que 13,3% des suffrages avec ses binômes propres, le PS se hisse ainsi à 21,3% lorsqu'on prend en compte le score de ses alliés.

Or, pour les autres partis de gauche, c'est la méthode inverse qui a été utilisée. Ainsi, les binômes de candidats écologistes étaient logiquement estampillés EELV par le ministère. Mais lorsqu'un candidat EELV était allié avec un candidat du Front de gauche, ce binôme était étiqueté "divers gauche". Or, 43% des candidats écologistes ont fait alliance avec le Front de gauche. Résultat : une partie du score d'EELV et du Front de gauche est en réalité masquée par l'étiquette "divers gauche".

Un "score bidon" pour Mélenchon. Cette méthode avait poussé la gauche de la gauche à crier à la manipulation avant le premier tour. Et quelques minutes avant l'annonce des premières estimations, dimanche, Jean-Luc Mélenchon avait lui-même dénoncé un "score bidon" sur Twitter, déplorant que "la moitié des candidats" du Parti de gauche soient étiquetés "divers gauche". Ce fut d'ailleurs la seule intervention de l'ancien candidat à la présidentielle, resté étrangement silencieux en cette soirée électorale.

De l'autre côté du spectre politique, l'interprétation des résultats pose également question. Selon les chiffres officiels du ministère, le FN est le parti qui a réuni le plus de suffrages (25,24%). Pourquoi, alors, la droite a-t-elle été donnée en tête dimanche soir ? Parce que son score est en réalité l'addition des suffrages pour l'UMP, l'UDI et les candidats divers droite alliés à ces deux partis. Avec cette méthode, "on ajoute des choux et des carottes", a dénoncé dimanche Florian Philippot sur Europe 1. Le bras droit de Marine Le Pen n'en démord pas : "le FN est le premier parti de France".

Interrogé par Europe 1 avant le premier tour, le ministère de l'Intérieur affirmait que les nuances attribuées, "fondées sur les clivages politiques issus des scrutins passés et de l'actualité politique", "permettent de bien identifier les rapports de force nationaux". Vraiment ? Au lendemain du premier tour, "il est impossible de connaître stricto sensu le score de chaque parti", reconnaît Frédéric Dabi, de l'Ifop. En effet, à quel parti attribuer un vote pour un binôme de candidats de forces politiques différentes ? L'équation est insoluble.

Plus clair au second tour. Le second tour de dimanche prochain devrait toutefois permettre d'y voir plus clair, puisqu'on connaîtra tous les nouveaux conseillers départementaux. Il sera alors possible de savoir de combien d'élus disposera chaque parti. Il n'empêche : alors qu'un électeur sur deux ne s'est pas déplacé dimanche, ce grand flou sur les chiffres du premier tour ne devrait pas réconcilier les Français avec la politique.

>> La grille de nuances politiques utilisée par le ministère de l'Intérieur :

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