Du Grenelle à toutes les sauces

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Environnement, insertion, ondes… Tous ont fait l’objet d’un "Grenelle". Un vocable à la mode.

Grenelle de l’environnement, de l’insertion, de la mer, bientôt peut-être de la sécurité, après les incidents de Grenoble… Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, ces réunions sur un thème donné se multiplient. L’expression, tout droit venue de Mai-68, n’a évidemment pas été choisie au hasard par le chef de l’Etat. Elle est éminemment politique, puisqu’il est difficile de différencier un Grenelle avec des états généraux, par exemple.

Le Grenelle désigne aujourd’hui une large réunion entre certains membres du gouvernement et l’ensemble des acteurs d’un thème donné. Cette réunion se veut au-dessus des clivages politiques, et doit aboutir à un large éventail de lois, censées révolutionner le secteur concerné.

Genèse. L’origine du mot vient de la réunion tenue les 25 et 26 mai 1968 au ministère du Travail, située rue de… Grenelle. Après plusieurs heures de négociation entre les syndicats et le Premier ministre Georges Pompidou et le secrétaire d’Etat aux Affaires sociales, Jacques Chirac, les accords de Grenelle sont signés entre les parties. Ils prévoient entre autres une augmentation de 25% du SMIG (ancêtre du SMIC) et la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine. Mais, rejetés par la base, ils ne résolvent en rien la crise de Mai-68. Il faudra le retour du Général de Gaulle de son exil volontaire à Baden-Baden, dissolution de l’Assemblée nationale à la clé, pour que le pays retrouve le calme. Le premier Grenelle est donc un semi-échec.

Depuis 1968. Jusqu’en 2007, l’expression "Grenelle" est utilisée avec parcimonie. C’est d’abord Pierre Bérégovoy qui, en 1983, envisage un Grenelle de la protection sociale, finalement abandonné. En 2001, Elisabeth Guigou lance un Grenelle de la santé qui ne durera qu’une journée. Depuis 2007 en revanche, c’est l’emballement. Le Grenelle de l’environnement a été le premier d’une longue série, avec notamment les Grenelle de l’insertion, de l’audiovisuel, de la mer, des ondes… A tel point que la référence à Mai-68 semble désormais très largement occultée.

Choix. De prime abord, le choix d’une référence à Mai-68 a pu surprendre de la part d’un président qui n’a jamais caché sa volonté de liquider l’héritage de cette période. Certains y voient une contradiction de plus de la part de Nicolas Sarkozy. D’autres estiment en revanche que ce choix découle d’une vraie cohérence et d’une stratégie claire. En donnant un nouveau sens au mot Grenelle, le chef de l’Etat parvient à faire oublier Mai-68, et remplit ainsi un peu plus son objectif. A tel pont que la gauche, en réclamant, après les incidents de Grenoble, un Grenelle de la sécurité, entre dans son jeu et valide le nouveau sens du mot.

Trop de Grenelle ? La multiplication des Grenelle a tendance à agacer, jusqu’au sein de la majorité. En témoigne ce savoureux –et un brin surréaliste- échange entre trois femmes ministres lors du Grenelle des ondes en mai 2009, et rapporté par le Canard Enchaîné.

Mécontente de la tenue d’une réunion, Roselyne Bachelot lâche à sa camarade Nadine Morano : "Qu’est-ce que j’en ai marre de ces Grenelle qui ne servent à rien !" Puis, hilare : "On devrait plutôt faire un Grenelle du cul!" La secrétaire d’Etat à la famille ne se démonte pas et ose : "Dans ce cas-là, on devrait prendre Christine Boutin comme marraine !" Présente dans la pièce, celle qui était alors ministre du Logement entend la saillie, mais préfère répondre sur le ton de l’humour : "Oh, tu sais, Nadine, il faut se méfier de l’eau qui dort!"