Comment expliquer le retour en grâce des newsletters

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Philippe Vandel et Romain David , modifié à

Les newsletters payantes sont de plus en plus nombreuses, au point d'esquisser un véritable modèle économique à côté de celui, plus traditionnel, des sites d'info qui s'appuient largement sur les annonceurs. Invités vendredi de "Culture médias" sur Europe 1, Anaïs Carayon, fondatrice de "Brain Matin", et Jean Abbiateci, le créateur de "Bulletin", décryptent ce nouvel essor.

Vous en recevez peut-être chaque jour, chaque semaine ou chaque mois. Les newsletters ont été données pour mortes plusieurs fois, notamment lors de l’avènement des réseaux sociaux à la fin des années 2010. Elles ont pourtant continué à se réinventer et sont même devenues une alternative pour de nombreux journalistes souhaitant échapper aux carcans des sites d’informations et des rédactions web traditionnelles. Qu’elle soit généraliste, comme Bulletin, Time To Sign Off ou Brief.Me, ou spécialisée, comme Artips et Insider, la newsletter a le principal avantage d’être un média peu onéreux, bien moins coûteux à produire qu’un site ou qu’un magazine, et qui permet de toucher un public de niche. Anaïs Carayon, fondatrice de "Brain Matin", et Jean Abbiateci, le créateur de "Bulletin", étaient vendredi les invités d'Europe 1. 

Une forme d'indépendance

Une newsletter, lorsqu'elle est payante, permet surtout au journalisme en ligne de s’émanciper en partie de la publicité et des réseaux sociaux, comme l’explique au micro de Culture Média Anaïs Carayon. "C’est un vrai ras-le-bol des réseaux sociaux, notamment de Facebook, qui m’a poussé à me lancer dans la newsletter. Facebook a été, au milieu des années 2010, une manne de trafic incroyable pour tous les sites, mais l'algorithme s’est étriqué avec le ciblage publicitaire, et la visibilité des médias a diminué", relève-t-elle.

Autre élément de rupture : un rapport de plus en plus complexe avec les annonceurs, ce qui a pu conduire, ces dernières années, à un mélange des genres entre publicité et journalisme. "Il y a quelques années encore, la pub sur Internet, c’était des marques qui venaient frapper à notre porte pour avoir une bannière sur le site", raconte Anaïs Carayon. "Aujourd’hui, de plus en plus, les marques nous demandent de la production de contenus : on doit inventer un concept, il ne s’agit plus seulement d’affichage publicitaire, ce qui insidieusement a fait de nous une agence de pub sous-payée", déplore-t-elle.

De l'info, mais aussi "un ton, une façon d'écrire"

Mais de la même manière qu'un journal ou un magazine papier classique, le principal défi d’une newsletter est de trouver la formule qui poussera le lecteur à s’abonner, généralement pour 3, 4 ou 5 euros par mois. "Une bonne newsletter, c’est de l’info et de l’esprit. On reste journaliste, il faut apporter des contenus rigoureux, vérifiés et intelligents, mais aussi de l’esprit parce que c'est un ton, une façon d’écrire et de dialoguer avec le lecteur", résume Jean Abbiateci le fondateur de Bulletin. "Si la newsletter est vue comme abusive ou comme un spam, les gens se désabonnent. Il faut respecter le lecteur avec des informations intéressantes." Autre élément de fidélisation : la régularité. "L’idée n’est pas d’arroser l’abonné de mails trois fois par jour, mais de créer un rendez-vous auquel on a plaisir à accéder."

Lancé en juin, Bulletin compte quelque 10.000 abonnées, mais Jean Abbiateci reste lucide sur ce chiffre. Car l’un des désagréments de ce support, c’est la facilité avec laquelle il peut disparaitre au milieu des nombreuses sollicitations qui assaillent l’internaute, et donc finir dans la corbeille d’une boîte mail sans même avoir été lu. "Il ne faut pas se laisser leurrer par des pages vues, et faire l’effort d’aller voir qui sont les vrais lecteurs, c’est un réflexe salutaire si l’on veut développer un vrai média", insiste Jean Abbiateci. "Pour moi, un lecteur de Bulletin est quelqu’un qui revient une fois sur deux, et clique sur un lien pour lire un article. En partant de cette formule, ça me ramène à 4.000 lecteurs."

Le retour du modèle payant

Cet essor de la newsletter payante semble également remettre en question le principe d’une gratuité des médias en ligne, qui s’était imposé dans les années 2000 avec la révolution numérique, avant d’être mis à mal une première fois par le succès de certains pures players payants, comme Mediapart. "Cette gratuité, on en revient, en effet. L’enjeu, c’est de trouver le bon équilibre entre l’ouverture, pour faire découvrir son contenu, et la réalité économique", indique Jean Abbiateci. "Aux Etats-Unis, la newsletter payante est un format qui marche de plus en plus. Je pense que nous n'en sommes qu'au début", conclut Anaïs Carayon.