Véronique Picard : "Il n'existait plus, il était complètement sorti du système"

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Ce matin à 7h45, Europe 1 recevait Véronique Picard, mère de Mathias, diabétique, et décédé faute de carte vitale en février 2014.

Véronique Picard, mère de Mathias, diabétique, et décédé faute de carte vitale en février 2014.

Voici ses déclarations :

Bonjour Véronique. Merci d'avoir accepté notre invitation. Juste avant de commencer cette interview, je voudrais préciser que vous n'êtes pas là par esprit de vengeance, pour balancer des noms au public. Vous voulez juste comprendre ce qui est arrivé à votre fils afin qu'un tel drame ne se reproduise pas. Un drame de l'absurde, comme disait Julie. Un imbroglio administratif qui est arrivé à beaucoup d'entre nous, sauf que là, ça prend des proportions absolument dramatiques. On va parler de votre fils, Mathias. Il était étudiant, il voulait faire quoi dans la vie ?

"Il voulait être journaliste."

il avait 27 ans, diabétique depuis l'âge de 4 ans. Il connaissait sa maladie, il la traitait... Sauf qu'à l'été 2012, c'est là que ça commence, il décide d'arrêter ses études. Il doit en principe passer du régime de sécu étudiant au régime général. Mais là, ça va pas se passer comme prévu.

"Non, du tout. Il s'est rendu compte qu'il n'était plus assuré en janvier 2013, en allant à la pharmacie, quand il s'est aperçu que sa carte vitale n'était plus valable. J'ai appelé la sécurité sociale étudiante, où on m'a dit que, comme il avait arrêté ses études, il était radié d'office. IL s'est rendu à la Sécu pour ouvrir un dossier, puisqu'il fallait qu'il réintègre l'Assurance maladie. Et là, étant donné qu'il avait été étudiant, il avait disparu des fichiers. Il n'existait plus, alors qu'avant, il figurait dans leurs dossiers en tant qu'insulino-dépendant. Il était sorti du système. Bien que diabétique - il leur a dit - on lui a demandé de remplir un dossier. Ce qu'il a fait. Pas de réponses. Je les ai appelés entre temps, pour qu'on me dise que c'était très grave et qu'il fallait qu'il prenne rendez-vous avec un conseiller. Ce dernier lui a dit : "Non, non. Vous n'êtes plus diabétique. Vous n'existez plus chez nous. Remplissez un nouveau dossier." Et de nouveau, plus de réponse."

Pour qu'on comprenne bien, pendant ce temps-là, vous allez payer l'insuline et le médecin.

"Bien sûr, oui."

Sauf que, quand on est diabétique, il est nécessaire d'aller une fois par an à l'hôpital pendant une semaine pour vérifier que tout va bien.

"Oui, pour vérifier que tout ce que le diabète abîme aille bien : les yeux, le cœur, les reins, les artères. Il faut aussi un rendez-vous trimestriel avec un diabétologue."

Qu'est-ce qu'il vous dit, Mathias, à cette époque, quand il voit que ça ne marche pas ?

"Il perd confiance. Il est stressé, il ne comprend pas. Moi, à l'époque, je le secouais un petit peu. Peut-être n'avait-il pas fait tout ce qu'il fallait. Il s'énervait, il rigolait en me disant : "Mais non écoute, je ne suis plus diabétique." Ça, ça a duré jusqu'à l'été, à se renvoyer la balle."

Parce qu'en plus, quand il va consulter, il ne voit pas les bons spécialistes, souvent. On lui a donné un pass santé pour attendre...

"Alors, ce qui s'est produit, c'est que, jusqu'à l'été, on a payé. Il est revenu sur Paris voir mon médecin traitant, qui lui a renouvelé son insuline. On a payé ses frais jusqu'à ce moment-là. A un moment, je lui ai dit : "Ecoute, j'y vais". Mais il n'a pas voulu. A 27 ans, il ne voulait pas que maman aille taper du poing sur la table au guichet à sa place parce qu'il y avait une case mal cochée,qu'on lui renvoyait sans cesse ses dossiers parce que des dossiers disparaissent. Je reçois beaucoup de témoignages dans ce cas-là."

Heureusement, dans son cas à lui, il y a une assistante sociale qui se rend compte qu'il y a urgence, que quelque chose ne va pas.

"Pas tout de suite. Parce que comme il ne voulait pas que je l'accompagne à la Sécu et que rien ne se décantait, je lui ai dit d'aller dans un centre d'action sociale, où une assistante sociale allait surement savoir quoi faire. Le problème, c'est que, étant étudiant, il avait travaillé deux fois trois mois à la mairie de Paris, cette dernière ayant encore un statut à part, avec une caisse de sécu à part. Il y a je ne sais combien de caisses de sécu en France : indépendants, police, fonctionnaires, la marine... Et elles ne communiquent pas entre elles. Quand vous sortez de la sécu sociale basique, vous êtes radié du jour au lendemain et c'est la croix et la bannière pour être réintégré. Des témoignages, j'en reçois plein, qui ont connu le même parcours que mon fils, des gens qui sont partis à l'étranger, des gens qui ont changé de département..."

Le drame, c'est que votre fils, au mois de février, il va faire un malaise, chez lui. Il va se coucher et ne pas se réveiller. Sa carte vitale va arriver deux semaines plus tard. Vous réagissez comment à ce moment-là ?

"Je voudrais être capable d'être en colère mais je n'y arrive pas. Je suis toujours sous le choc. C'est quelque chose qui n'aurait jamais dû arriver. Comment vous dire ? J'ai regardé cette carte vitale et... rien. Je n'arrive pas à être en colère : c'est l'absurde. Et puis, il faut savoir que le Défenseur des droits enquête d'une double façon. Sur les défaillances de l'administration et sur la prise en charge de l'hôpital, qui l'a pris après avoir vu ce centre d'action sociale qui n'a rien compris, puisque c'était  beaucoup trop compliqué pour eux. La fin de la sécurité sociale, la caisse de sécurité de Paris, la non réintégration du régime général :  c'était beaucoup trop compliqué pour eux. Donc là, ils lui ont remis le pass santé, avec lequel il a été reçu dans ce CHU, où il n'a pas été retenu par un diabétologue, mais par un médecin."

Aujourd'hui,  vous demandez quoi ? Que ces caisses communiquent mieux entre elles ?

"D'abord, j'attends les résultats de l'enquête du défenseur des droits pour savoir où sont les responsabilités dans le cas de mon fils. Si vous voulez, quand j'ai rencontré le Défenseur des droits, j'ai eu l'impression que tout le monde était au courant de ces dysfonctionnements complètement ubuesques mais que personne n'en a pris la mesure, alors que ça touche énormément de gens."

Il y a certainement quelqu'un du ministère de la Santé qui vous écoute ce matin. Vous souhaitez les rencontrer ?

"Pour l'instant, j'attends les résultats de l'enquête du Défenseur des droits. Ils ont toute ma confiance, m'ont très bien reçu et ont pris l'affaire très au sérieux. Je leur ai dit : "Je vais vous prouver que les étudiants ne sont pas automatiquement réintégrés dans la Sécu." Ils n'en avaient pas pris la mesure. C'est pour ça que j'ai fait un blog, au nom de mon fils, qui reçoit des témoignages. Le Défenseur des droits les attend. Plus ils seront nombreux, plus l'action aura de poids. J'attends aujourd'hui que les choses changent, plus de fluidité, moins de problèmes administratifs pour un case mal cochée, une communication pas faite entre les caisses. C'est aberrant. J'ai reçu hier le message d'une jeune femme dont le frère est mort à l'âge de 22 ans. Faute de carte de sécurité sociale, il est mort d'une embolie. Il avait mal à la jambe, il a pas pu se faire soigner, il est parti d'une embolie. Des cas comme ça, j'en reçois plein."

 

Pour tous ceux qui veulent vous rejoindre, on donnera l'adresse du  blog sur Europe1.fr

"Tout est expliqué sur le blog : "Pour Mathias, une carte était vitale". Il y a l'adresse mail où envoyer les témoignages, tout sera remonté au Défenseur des droits pour que, je l'espère, les choses tournent dans le bon sens : dans l'avancée pour une simplification et une fluidification de ce système aberrant, ubuesque et qui peut se transformer en broyeur de vies, comme ça a été le cas pour moi."