En Iran, le pouvoir joue la montre et tente de calmer le jeu

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avec AFP , modifié à
Alors que des manifestations ont éclaté dans tout le pays ces derniers jours, le président Rohani a préféré temporiser dimanche soir, espérant que la contestation s'éteigne d'elle-même.

Le gouvernement iranien marche sur des œufs. Depuis jeudi dernier, des manifestations éclatent dans tout le pays. Ponctués de slogans visant directement le pouvoir dirigeant, ces troubles témoignent aussi de la crise économico-sociale que traverse le pays, incapable d'offrir un avenir et du travail à sa jeunesse. Au total, douze personnes ont trouvé la mort dans les troubles, et des dizaines ont été arrêtées. Il s'agit là de la plus importante vague de protestation depuis le "mouvement vert" de 2009. À l'époque, les manifestants avaient été sévèrement réprimés. Cette fois-ci, le pouvoir iranien semble s'y prendre différemment.

Ménager la chèvre et le chou. Le président iranien, Hassan Rohani, a mis quatre jours avant de prendre la parole, dimanche soir. Dans un message enregistré et diffusé à la télévision nationale, le dirigeant a tenté de calmer le jeu, reconnaissant notamment qu'il fallait créer "un espace pour que les partisans de la révolution et le peuple puissent exprimer leurs inquiétudes quotidiennes". "C'est le droit du peuple." Au pouvoir depuis bientôt cinq ans, ce modéré a également admis les difficultés économiques du pays, ainsi que "la corruption et l'absence de transparence". "Notre économie a besoin d'une grande opération de chirurgie, nous devons tous être unis", a affirmé Hassan Rohani, qui a promis que les autorités avaient bien la volonté de "régler les problèmes de la population".

Parallèlement, le président iranien s'est montré très ferme vis-à-vis des "hors-la-loi". "Critiquer, c'est totalement différent que d'utiliser la violence. Le peuple iranien répondra aux fauteurs de troubles."

" Notre économie a besoin d'une grande opération de chirurgie, nous devons tous être unis "

La menace des conservateurs. S'il ménage ainsi la chèvre et le chou, c'est qu'Hassan Rohani est dans une position inconfortable. Il est scruté de très près par ses adversaires politiques conservateurs, qui rêvent de le voir tomber, et auxquels il doit donner des gages d'autorité. Les conservateurs ont même été accusés par certains observateurs sur place d'avoir aiguillonner les premières manifestations dans le but de déstabiliser le président modéré, avant de perdre le contrôle des protestations.

Désaveu de la politique économique. De l'autre côté, ces manifestations sont un véritable désaveu de la politique d'Hassan Rohani, réélu en mai dernier sur la promesse du redressement économique. "C'est le problème de fond du pouvoir iranien aujourd'hui", analyse Ardavan Amir-Aslani, avocat franco-iranien et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient et de l'Iran, sur Europe 1. "Il a 'sur-promis' par rapport aux dividendes qu'il allait pouvoir récolter à l'issue de la signature de l'accord sur le nucléaire." Cette signature en juillet 2015, suivie de la levée des sanctions internationales contre Téhéran, devait rimer avec ouverture du pays et prospérité économique. Mais "on constate aujourd'hui que sur les milliards d'euros d'investissements étrangers annoncés, il n'y a finalement pas eu grand-chose", explique Ardavan Amir-Aslani.

Une répression moins sévère qu'en 2009. Pour contrer la flambée de protestations, les autorités ont commencé à user de la force, notamment en dispersant les manifestants au gaz lacrymogène et aux canons à eau. Environ 200 personnes ont été arrêtées à Téhéran, et à peu près autant en région, selon les médias locaux. "Ceux qui détruisent les biens publics, créent du désordre et agissent dans l'illégalité doivent répondre de leurs actes et payer le prix", a justifié le ministre de l'Intérieur, Abdolreza Rahmani Fazli, dimanche. "Nous agirons contre les violences et ceux qui provoquent la peur et la terreur." Dimanche, les réseaux sociaux Instagram et Telegram, qui servent aux manifestants à s'organiser, ont été coupés par les autorités.

" On peut redouter la répression, mais de là à dire que le nombre de blessés ou de tués serait comparable à celui de 2009, je ne le pense pas. "

Un mouvement difficile à contrôler. Mais pour Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne, la situation reste loin de celle de 2009, où plus de 150 personnes avaient été tuées par le régime. "On peut redouter la répression, mais de là à dire que le nombre de blessés ou de tués serait comparable à celui de 2009, je ne le pense pas", explique-t-elle à Europe 1. La situation est, de fait, bien différente. Et bien plus difficile à maîtriser pour le pouvoir en place. "Le mouvement actuel est très sporadique, assez spontané. Il n'y a pas de leadership", détaille Azadeh Kian. "Le pouvoir a énormément de difficultés pour identifier les dirigeants" des manifestations et les arrêter, comme cela s'était produit en 2009, confirme Ardavan Amir-Aslani. "Le système préfère les manifestations politiques plutôt que celles suscitées pour des raisons économiques, car elles sont plus faciles à contrôler", résume le politiste Mojtaba Mousavi, basé à Téhéran, auprès de l'AFP.

 

Ennemi commun. Pour l'instant, le gouvernement iranien joue donc la montre, espérant que le feu de protestations s'éteigne de lui-même. Rien de tel, pour ressouder une nation, que d'en appeler à un ennemi commun. Hassan Rohani en a un tout trouvé en la personne de Donald Trump, qui avait affirmé que "le gouvernement iranien devrait respecter" les droits des manifestants. "Ce monsieur aux Etats-Unis, qui veut montrer de la sympathie à l'égard du peuple iranien, oublie qu'il l'a traité de terroriste", a rappelé le président. Qui a également tenté d'unir son peuple en invoquant "la situation délicate régionale". Le pouvoir iranien espère que les exemples de l'Irak et la Syrie, deux pays voisins en proie à des crises politiques intenses, serviront de repoussoir.

Pour l'instant, néanmoins, la contestation ne semble pas prendre fin. Lundi soir, de petits groupes de manifestants, dont certains scandaient des slogans anti-régime, se sont rassemblés dans le centre de Téhéran.