Crise financière, pauvreté et pénurie : que se passe-t-il au Liban ?

Liban manifestations
Le Liban s'enfonce dans une profonde crise économique et sociale. © JOSEPH EID / AFP
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Nicolas Feldmann et Margaux Baralon, avec AFP , modifié à
Le Liban traverse en ce moment la pire crise économique de son histoire. Cette semaine, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, s'y est rendu pour réclamer au pays des réformes en échange d'un soutien financier. Retour sur l'histoire d'un marasme qui couvait depuis longtemps.
DÉCRYPTAGE

Dans une rue sombre, un motocycliste armé d'un couteau surgit devant un passant et réclame... de l'argent ou de la nourriture. Voilà une scène qui, selon une source sécuritaire libanaise, se reproduit régulièrement ces derniers jours au Liban. Le pays, qui traverse la pire crise économique de son histoire, voit sa population se paupériser à vitesse grand V. En visite pour deux jours cette fin de semaine, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, a de nouveau encouragé Beyrouth à entreprendre les réformes indispensables à sa modernisation, condition sine qua non à une aide financière internationale.

Que se passe-t-il exactement au Liban ?

Le Liban connaît un véritable naufrage économique depuis près d'un an, qui s'explique d'abord par une crise du secteur financier. Après avoir pendant longtemps attiré des capitaux étrangers (notamment en provenance de la diaspora libanaise) s'octroyant ainsi le surnom de "Suisse du Moyen-Orient", le pays a vu le système se gripper. Les tensions géopolitiques de la région ont découragé les investisseurs. Résultat : les banques libanaises, voyant les réserves de la Banque centrale fondre, ont limité les transferts et les retraits d'argent. Ce qui prive donc bien des épargnants de l'accès à leur argent.

Dans le même temps, la valeur de la livre libanaise a dégringolé, perdant plus de 85%. Beyrouth est aujourd'hui en défaut de paiement, avec une dette totale qui se monte à 90 milliards de dollars. Et la crise du coronavirus n'a évidemment rien arrangé.

Quelles conséquences pour les Libanais ?

Cela a des conséquences très concrètes sur la vie quotidienne des Libanais. "Le prix du pain a augmenté de 50 à 70%, beaucoup de produits, surtout importés, n'existent plus comme les médicaments ou le tabac", témoigne Camille, un habitant, au micro d'Europe 1. "Rien ne va plus. Le pays s'est écroulé comme un château de cartes."

Car le Liban importe presque tout. Tout vient donc à manquer. Plusieurs commerces distribuant des produits de marques internationales, refusant de revoir chaque jour leurs prix alors que, de toute façon, le pouvoir d'achat des Libanais est si impacté que ces derniers n'achètent plus rien de non indispensables, ont fermé provisoirement. Tout vient donc à manquer.

Aujourd'hui, 45% de la population vit sous le seuil de pauvreté et plus de 35% des actifs sont au chômage. Selon une source sécuritaire, le Liban enregistre depuis plusieurs semaines un "nouveau type de vol" qui concerne "le lait pour enfants, les produits alimentaires et les médicaments". Fait marquant, "plus d'une victime" a rapporté que l'agresseur "s'était excusé au moment du vol", ajoute cette source à l'AFP.

Autre conséquence : l'exode. Des libanais quittent Beyrouth pour aller cultiver de la nourriture dans les terres et ainsi trouver de quoi se nourrir. "Nous sommes dans une situation où la crise est très mal gérée par le gouvernement et je pense que dans peu de temps, on aura à faire face à une situation de pseudo-famine", explique Salim Zwein, un ingénieur agronome libanais qui a créé un groupe Facebook pour encourager ses compatriotes à se lancer dans l'agriculture. "Le Liban bénéficie d'un climat entre le climat tropical et méridional. On peut tout cultiver."

En octobre, un soulèvement inédit avait eu lieu contre l'intégralité de la classe politique, accusée de corruption et d'incompétence. 

Pourquoi est-ce aussi une crise politique ?

Le lien entre économie et politique est étroit. Pour s'en sortir, Beyrouth doit débloquer de l'argent frais auprès de ses bailleurs internationaux, comme la France par exemple, mais aussi le FMI, avec lequel des négociations en cours ont été interrompus. Or, ces derniers n'acceptent de mettre la main au porte-monnaie que si le pays entreprend des réformes profondes afin de ne pas retomber dans ses travers. Lutte contre la corruption, transparence, coupes dans les dépenses publiques, modernisation des infrastructures : depuis deux ans et la conférence CEDRE pour le développement du Liban, la communauté internationale attend des changements profonds qui ne viennent pas.

"Ces réformes, les Libanais les attendent aussi depuis plus d'une décennie et elles n'arrivent jamais parce que ceux à qui on les demande les bloquent", analyse Sami Nader, économiste. L'arrivée d'un nouveau gouvernement en janvier n'a, de fait, rien changé. Rongé par la corruption et le clientélisme, le système politique libanais ne peut faire face. "Les partis politique en présence se font financer par l'État, c'est une dilapidation de l'argent public", complète Sami Nader. Et les banques libanaises, inclues dans la négociation, refusent d'éponger les pertes et bloquent donc une grande partie du processus. 

Que dit la France ?

Dans ce contexte très difficile, Jean-Yves Le Drian est venu tout à la fois taper du poing sur la table et assurer Beyrouth de la solidarité française. "Aidez-nous à vous aider !", a ainsi déclaré le ministre des Affaires étrangères mercredi. "Aujourd'hui, il y a un risque d'effondrement. Il faut que les autorités libanaises se ressaisissent et je me permets de dire ici à nos amis libanais  : 'Vraiment nous sommes prêts à vous aider mais aidez-nous à vous aider, bon sang !'"

"Ces réformes ne sont pas au rendez-vous. On sait ce qu'il faut faire sur la transparence, la régulation de l'électricité, la lutte contre la corruption, la réforme du système financier et bancaire. Mais rien ne bouge ! ", a déploré Jean-Yves Le Drian, se disant "très inquiet" sur la situation dans le pays. Vendredi, le chef de la diplomatie française a estimé que les "exigences" françaises avaient été entendues.