La France avait lancé Sangaris en décembre 2013 alors que son ex-colonie connaissait des massacres sans précédent.
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T.M. , modifié à
Vincent Hugeux, journaliste à "L'Express" et spécialiste de l'Afrique, réagit sur Europe 1 à l’annonce de la fin de l’opération Sangaris en République centrafricaine, lundi.
INTERVIEW

"La page de l'opération Sangaris est tournée en République centrafricaine". C’est par ces mots que le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a officiellement proclamé lundi à Bangui la fin de trois ans d'opération militaire française en Centrafrique, laissant un pays dans l'angoisse, désormais sous la seule protection des Nations unies.

"La tragédie centrafricaine n'est pas résolue". "Le dispositif Sangaris se désengage comme prévu, sans pour autant que la tragédie centrafricaine soit résolue. Loin s’en faut", regrette ainsi Vincent Hugeux, spécialiste de l’Afrique à L’Express. "Et même en laissant un contingent d’environ 350 hommes, dont une centaine sera affectée sous le béret bleu de l’ONU, cette opération Sangaris laisse dans son sillage un pays exsangue, avec certes un président qui a été élu en février dernier, mais qui ne règne que sur Bangui et ses environs, et encore. La province reste le jouet d’un chaos milicien et d’un regain d’activité des anciens rebelles, qui s’intensifie ces jours derniers", explique-t-il sur Europe 1.

"La Minusca n’a pas le pouvoir de dissuasion que pouvait avoir le contingent tricolore". Au camp militaire Mpoko, près de l'aéroport de Bangui, Jean-Yves Le Drian a estimé que l'opération, lancée en décembre 2013, avait rempli ses trois missions : "mettre fin au chaos, accompagner la montée en puissance des forces internationales et permettre la tenue d'élections démocratiques". "Hélas, il est indéniable que l’engagement français a permis d’enrayer la mécanique infernale des tueries de masse. Il faudrait être un faussaire pour le contester. Mais en revanche, en partant, on ne laisse pas un pays en paix, d’autant que la Minusca, cette mission onusienne qui compte pourtant 10.000 Casques bleus, inspire plutôt la défiance que le respect de la population et n’a pas le pouvoir de dissuasion que pouvait avoir le contingent tricolore", estime de son côté Vincent Hugeux.

Entendu sur europe1 :
La tragédie de ce pays (...) continuera de hanter les cauchemars de la France.

Inquiétudes sur l'avenir de la Centrafrique. Les 4,5 millions de Centrafricains ne cachent d’ailleurs pas leur inquiétude au sujet du départ des soldats français, bien que la fin de Sangaris "ne signifie pas la fin des relations militaires entre la France et la Centrafrique", a assuré le ministre. "La tragédie de ce pays et de ses civils, broyés par ce chaos milicien, continuera de hanter les cauchemars de la France officielle", prédit Vincent Hugeux. "Imaginons que, hélas, l’État centrafricain, qui est une fiction à ce stade, ne parvienne pas à asseoir son autorité sur l’ensemble du territoire, ce qui est le scénario le plus probable, il n’est pas du tout exclu que dans quelques années, la France ait à intervenir de nouveau comme elle l’a fait, pour ne pas laisser l’un des joyaux de son empire colonial passé sombrer dans une tragédie sans fond", continue le journaliste.

"Un édifice d'une incroyable fragilité". "Politiquement, on a là un édifice d’une incroyable fragilité. Car encore une fois, si vous avez une intervention qui est techniquement un succès militaire, mais qui ne s’accompagne pas d’un règlement politique durable et inclusif, vous ne faîtes que reporter l’échéance et acheter un sursis". "C’est toujours trop tôt", a reconnu Jean-Yves Le Drian, lundi, comme un aveu de faiblesse.