Barroso chez Goldman Sachs ? "Une pratique presque normale"

© EMMANUEL DUNAND / AFP
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L’ancien président de la Commission européenne n’est pas le premier haut fonctionnaire européen à rejoindre le secteur privé.

"Ce n’est pas une surprise, mais c’est un mauvais timing". Pour Yannik Bendel, le recrutement par Goldman Sachs de José Manuel Barroso est finalement d’une triste banalité. Comme l’ancien président de la Commission européenne, désormais conseiller sur le Brexit auprès de la banque d’affaires, de nombreux hauts fonctionnaires européens ont quitté le secteur public pour le privé.

De l’UE aux gros groupes : une tradition

Depuis janvier 2015, pas moins de dix hauts fonctionnaires ont ainsi quitté leur fonction au sein des institutions européennes pour rejoindre le secteur privé. L’ancien député européen britannique Matt Hinde, chargé la stratégie en matière d’énergie et de climat au sein de l’Union européenne, a par exemple rejoint, en octobre 2015, la société de communication FleishmanHillard en tant que vice-président en charge des questions d’énergie.

L’eurodéputé suédois Olle Schmidt, spécialiste des questions de finance, qui a passé treize ans au sein du Parlement à Bruxelles, a lui été embauché en avril 2015 par la société de conseil en communication et en finance, Hume Brophy. Autre exemple, Sharon Bowles, ancienne eurodéputée et ex-présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires, a rejoint en 2014 le groupe financier London Stock Exchange Group.

Une pratique normale chez les hauts fonctionnaires

Le cas de José Manuel Barroso, pris en flagrant délit de pantouflage, est donc loin de surprendre les initiés. "Bien sûr, le cas de Barroso attire l’attention des médias parce qu’il n’est pas n’importe qui, mais cette pratique est devenue quelque chose de presque normale chez les hauts fonctionnaires européens", souligne, presque résigné, Yannik Bendel, de Transparency International.

Mais pour l’ONG, le problème n’est pas tant le passage du public au privé : il faut bien que les députés et autres fonctionnaires puissent poursuivre leur carrière. "Le problème, c’est le risque de conflit d’intérêts". La frontière peut, en effet, être ténue entre l’expertise et la violation du secret professionnel, auquel est soumis tout haut fonctionnaire, même après avoir quitté les institutions européennes.

Le code de bonne conduite, signé par les commissaires, prévoit une période de "refroidissement" de dix-huit mois à l'issue de leur mandat durant laquelle ils doivent demander une autorisation à leur ancien employeur avant de pouvoir rejoindre un groupe privé. Mais ce dispositif n'est plus d'application pour José Manuel Barroso, qui a quitté ses fonctions début novembre 2014 et a cessé de percevoir en janvier 2015 l'indemnité de transition prévue.

Le respect du secret professionnel

Une période de carence qui, de toute façon, n’empêche pas l’ancien chef de l’exécutif bruxellois d’apporter son savoir et son savoir-faire chez Goldman Sachs. José Manuel Barroso connaît dans les moindres détails le fonctionnement de l’UE. Et c’est précisément ce qui intéresse la banque d’affaires. L’ancien haut fonctionnaire a vu passer tous les dossiers de la Commission européenne et dispose d’un carnet d’adresses inestimable.

Sentant le danger poindre, la Commission européenne a donc tenu à rappeler, mardi matin, que l’ancien président de la Commission était tenu au "secret professionnel". "Dans tous les cas de figure, tous les anciens membres (...) restent liés par les obligations d'intégrité, de discrétion et de secret professionnel comme décrit" dans deux articles du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, a rappelé un porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas.

"Nous avons un devoir en tant que Commission de suivre si ces articles sont respectés (...) dans la pratique", a-t-il ajouté, jugeant que cela s'appliquait "d'autant plus à ceux qui ont eu le privilège et l'honneur de diriger" l'exécutif bruxellois. Le haut fonctionnaire devra donc veiller à ne pas franchir la ligne interdite.

Encore plus de défiance à l’égard de l’UE

Outre la violation du secret professionnel, Transparency International craint l’impact de cette nomination sur l’image de l’Union européenne déjà sérieusement entamée par la victoire du Brexit. "L’annonce de la nomination de Barroso se fait au mauvais moment", juge Yannik Bendel. "Cela va avoir un impact négatif sur la réputation de la Commission européenne et sur l’UE en général".

Selon l'ONG, l’ancien président de la Commission a d’abord pensé à lui plutôt qu’à l’Europe. Un choix égoïste qui risque d’accentuer la crise de confiance entre les citoyens et les institutions de Bruxelles. Et l’absence de commentaire de l’actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur le sujet, n’est pas pour apaiser le climat.