Affaire Khashoggi : l'Arabie saoudite est "dans une situation de maître à esclave" avec la France

Emmanuel Macron a indiqué mercredi que la France était prête à prendre des "sanctions internationales" contre l'Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane.
Emmanuel Macron a indiqué mercredi que la France était prête à prendre des "sanctions internationales" contre l'Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane. © YOAN VALAT / POOL / AFP
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Thibaud Le Meneec , modifié à
Invité de la matinale d'Europe 1, jeudi, l'ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense Pierre Conesa réfute l'idée que la France puisse répliquer économiquement et diplomatiquement à l'Arabie saoudite, après l'affaire Khashoggi.
INTERVIEW

Douze milliards d'euros. C'est le montant des exportations d'armes de la France vers l'Arabie saoudite, au cours de ces dix dernières années. Et trois semaines après le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans un consulat d'Istanbul, de nombreuses voix s'élèvent en France pour demander au gouvernement de cesser ce commerce avec le royaume wahhabite. Mais pour Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense et invité de la matinale d'Europe 1, jeudi, la France est dépendante vis-à-vis de l'Arabie saoudite.

Les Européens bloqués sur le cas énergétique. "On s'est engagés dans une logique de maître et d'esclave", explique l'auteur de Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, paru en 2016 aux éditions Robert Laffont. "On pense qu'en leur vendant des biens d'équipement, de l'armement ou du luxe, on les met sous notre dépendance, mais c'est le contraire." Et Pierre Conesa de citer le cas énergétique : "Le marché pétrolier est extrêmement tendu. Le fait que les Européens sanctionnent l'Arabie saoudite est totalement impossible. Les Américains peuvent le faire, avec le gaz de schiste, mais nous on n'a rien. On s'est retrouvés complètement piégés par une stratégie américaine qui nous a mis dans une situation où on a les mains ficelées."

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Selon lui, si l'Arabie saoudite est en position de puissance, ce n'est pas vraiment le cas de Mohammed ben Salmane, présenté comme un réformateur lors de son nomination comme prince héritier, en juin 2017. Il est aujourd'hui lourdement critiqué, dans le royaume et à l'international, pour son implication indirecte dans le meurtre du journaliste dans des conditions particulièrement sordides.

"MBS est en train de sauver sa tête". Depuis, l'Arabie saoudite a reconnu que Jamal Khashoggi avait été tué lors d'une opération non-autorisée. "MBS est en train d'essayer de sauver sa tête", analyse Pierre Conesa. "La commission d'enquête, dont le président n'est autre que Mohammed ben Salmane, va probablement conclure à des éléments incontrôlés qui sont allés beaucoup plus loin que le mandat officiel, donc on va faire porter le chapeau aux intermédiaires." Suffisant pour rester le successeur désigné au roi Salmane ? "Est-ce que les cercles de pouvoir, que Mohammed ben Salmane a beaucoup malmenés, ont une dent contre lui ? Le conseil de régence, ceux qui valident les décisions politiques les plus importantes, peuvent décider que 'MBS' n'était tout simplement pas le bon candidat donc il disparaîtrait progressivement", anticipe Pierre Conesa.

Entendu sur europe1 :
Il fallait arrêter les ventes d'armes à propos du Yémen

Mais pour le haut fonctionnaire, les critiques récentes à l'encontre du pouvoir saoudien n'ont pas forcément été déclenchées par les bonnes causes : "Ce qui m'étonne le plus, c'est que la communauté internationale s'offusque de cet assassinat, mais il y a le Yémen, avec 10.000 morts, une famine et une épidémie de choléra. On va conclure qu'il faut arrêter les ventes d'armes à propos de Jamal Khashoggi, alors qu'il fallait les arrêter à propos du Yémen."