Comment la Grèce se radicalise

© Yorgos Karahalis / Reuters
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Europe1.fr fait le point sur les résultats et enjeux des législatives grecques du week-end.

Les Grecs ont élu leur parlement dimanche. Et le scrutin s'est soldé par un changement, comme en France, ou presque. Forte poussée de la gauche de la gauche, déconvenue fracassante des partis traditionnels, entrée du parti néo-nazi au parlement… Le paysage politique athénien a connu en réalité une révolution le week-end dernier. Une révolution qui remet en cause la présence du pays dans la zone euro, ainsi que toute légitimité des politiques d'austérité. Les points clés pour comprendre.

Qui sort vainqueur du scrutin ? Si l'on prend parti par parti, celui de la droite traditionnelle, Nouvelle Démocratie, sort vainqueur, avec près de 19% des voix et 108 sièges au parlement. Le hic : il en faut 151 pour disposer de la majorité absolue. Le parti Nouvelle Démocratie ne pourra donc pas gouverner seul.

Les partis "anti-austérité", trois à gauche, et deux à droite, sont en réalité les grands gagnants de ce scrutin. Ils obtiennent 151 des 300 sièges à eux cinq. Et ont pour point commun le refus des plans d'austérité imposés par les créanciers internationaux de la Grèce (Bruxelles et le FMI en tête) en contrepartie de leur aide financière.

Et qui est le perdant?  Le Pasok, le parti socialiste Grec, qui accepte l'austérité et pourrait donc former un gouvernement de coalition avec Nouvelle démocratie, est clairement le grand perdant. Le parti de l'ancien Premier ministre Georges Papandreou ne recueille que 13% des voix et 41 sièges. Il avait engrangé 44% des suffrages lors des précédentes élections, en 2009.  Pire : il passe à la troisième place et voit le parti de la gauche radicale Syriza lui passer devant et devenir la principale force de gauche, avec plus de 16% des voix et 52 sièges.

Qui sont ces partis "anti-austérité" ? Syriza regroupe différents petits partis de gauche et d'anciens communistes. S'il ne propose pas de sortir de l'euro, il prône un changement radical de politique budgétaire : suspension du service de la dette, effacement d'une partie de la dette publique, ajout d'une clause pro-croissance dans les négociations de prêts avec l'Union européenne et le FMI…

Le parti doit son succès à son charismatique leader, un ingénieur de 37 ans, Alexis Tsipras, dont le look dynamique et décontracté contraste avec le reste de la classe politique. "Si son allure rappelle, en France, celle de l'ancien porte-parole du NPA Olivier Besancenot, sa stratégie est plus proche du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon", détaille le correspondant du Monde Alain Salles. Il devra essayer de construire une alliance avec les deux autres partis de gauche "anti-austérité" rentrés au parlement, les communistes du KKE (8% des suffrages) et les pro-européens de la Gauche démocratique (6%). Une mission mal partie pour le moment, ces derniers ayant fait parvenir une fin de non recevoir à Syriza.  

Qu'en est-il de l'extrême droite ? À la droite de l'échiquier, les nationalistes du parti "Grec indépendant" recueillent 10% des voix et 33 sièges. Et la grande surprise vient de l'entrée au Parlement du parti qualifié par ses adversaires de "néo-nazi", Aube dorée, encore inconnu il y a deux ans. Ils obtiennent 7% des voix et 21 sièges. Cette formation, qui fait de l'expulsion des immigrés illégaux sa priorité absolue, prône également une "Grèce libre, libre des requins de la finance étrangers, une Grèce indépendante et fière, délivrée de l'esclavagisme du plan de sauvetage."

Quel gouvernement pour le pays ? Conformément à la loi, Antonis Samaras, le dirigeant de Nouvelle Démocratie, le parti arrivé en tête, disposait de trois jours pour former un gouvernement de coalition. Mais le patron de la droite pro-austérité a annoncé dès lundi soir qu'il jetait l'éponge.

C'est ensuite le leader du deuxième parti, Syriza, qui devra tenter de former un gouvernent. Il aura lui aussi trois jours pour réussir. Ce dernier a d'ailleurs déjà "exclu" toute coalition avec la droite. En cas d'échec total, le président de la République, Carolos Papoulias, devra convoquer une réunion de la dernière chance avec tous les partis parlementaires, dont le délai pour réussir n'est lui pas fixé. La tenue de nouvelles élections anticipées n'est pas non plus exclue.

Comment ont réagi les marchés ? Les dix prochains jours seront cruciaux pour la Grèce, qui redevient le centre des inquiétudes de la zone euro et de ses créanciers UE et FMI.  Ceux-ci avaient en effet décidé de lui accorder deux prêts successifs de 240 milliards d'euros au prix de l'imposition d'une austérité draconienne depuis 2010. Mes ces élections viennent remettre en cause à la fois l'aide et l'austérité. Or l'aide est jugée cruciale pour éviter un défaut de paiement de la Grèce.

Face à cette incertitude, l'inquiétude des marchés européens s'est traduite par leur ouverture en baisse avant un redressement en milieu de journée.

Comment ont réagi les Européens ? Bruxelles et l'Allemagne ont aussitôt appelé Athènes à continuer à mettre en œuvre les réformes promises. C'est "d'une importance essentielle", a averti la chancelière Angela Merkel. La Commission européenne a déclaré de son côté attendre du gouvernement grec qu'il "respecte les engagements pris". Mettre en oeuvre le programme de réformes "est essentiel pour la soutenabilité de la dette grecque", a insisté un de ses porte-parole, Amadeu Altafaj. Il n'en a pas moins lancé une mise en garde à Athènes: "nous pensons que la Grèce doit rester un membre de la zone euro, mais chacun doit prendre ses responsabilités".

"Que font apparaître les votes grec et aussi français dans une certaine mesure? C'est qu'il est extrêmement difficile et nécessaire de trouver l'équilibre entre la crédibilité pour les marchés et la soutenabilité pour les peuples" en matière d'économies budgétaires et de réformes, a quant à lui estimé le commissaire européen au Marché intérieur, Michel Barnier. "On voit bien qu'en Grèce on est à la limite de la soutenabilité pour le peuple", a-t-il ajouté, en laissant la porte ouverte à un assouplissement. Il a rappelé que les accords signés avec la Grèce dans le cadre de son plan de sauvetage par l'UE et le FMI comportent "des mécanismes d'évaluation, d'adaptation, d'ajustement".

Et la France ? Le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé a lui estimé "fort inquiétant le score extraordinairement stupéfiant du parti nazi, dans un pays qui a beaucoup souffert du nazisme". "Le peuple grec a subi, depuis des mois, un tel sacrifice (qui fait) qu'il y a un sentiment de révolte parmi la population, qui s'est exprimé lors de ce scrutin fort inquiétant à bien des égards", a-t-il analysé.