L'édito politique de Claude Askolovitch

  • Copié
Rédaction Europe1.fr , modifié à
Un prophète, un film anti-Corses ?

Marc-Olivier Fogiel : l’édito politique d’Europe 1, bonjour Claude Askolovitch. Est-ce que Un prophète est un film anti-Corse? Le film de Jacques Audiard a reçu un prix du jury à Cannes, il montre un jeune voyou beur qui entre dans le milieu corse et la polémique monte dans l’Ile de beauté.

Et ça montre la force du cinéma et du festival de Cannes quand il va chercher la réalité. L’année dernière, on avait réussi à parler de l’école et des quartiers difficiles avec Entre les murs. Cette année, avec Un prophète, on a la révélation -ou le rappel- que la Corse est un territoire blessé, plein de malheurs. Il y a toujours des gens qui font de la politique avec le malheur et qui expliquent qu’un film sur les voyous corses, c’est une insulte faite à tout un peuple.
En ce moment, ce sont les ultra-nationalistes qui mènent la danse. Ils réclament une motion contre le film à l’assemblée de Corse, mais les “natio” ont des alliés et notamment un député UMP de Haute Corse, Sauveur Gandolfi Scheit.
Le député est allé un peu plus loin : il s’en est pris au scénariste du film Un Prophète, en suggérant qu’il aimait les islamistes et qu’il ferait mieux de s’intéresser au milieu maghrébin. Le scénariste, qui s’appelle Abdel Raouf Dafri, est beur. Le député aurait voulu nous rappeler qu’il y a un problème de racisme anti-arabe en Corse qu'il n’aurait pas réagi autrement !

Marc-Olivier Fogiel : pour vous, il y a du racisme derrière cette affaire ?

Il y a au moins du communautarisme, une manière de se replier sur soi-même et de faire comme s’il n’y avait que des ennemis. Ce n’est pas seulement un défaut corse. Il y a en ce moment une mode française, celle des identités blessées. On a parfois l’impression d’un pays qui devient une mosaïque de communautés toutes plus fragiles et plus susceptibles les unes que les autres, comme ces Bretons qui se sentaient privés de République parce que Nicolas Sarkozy avait fait mine de ne pas assister à la finale de la Coupe de France.
Il y a des réflexes communautaristes qui se généralisent et ça arrive au moment où tout le monde redécouvre ses racines, où la France est de plus en plus une société plurielle et qui assume sa diversité. C’est peut-être tout simplement une conséquence de cette nouvelle ouverture.

Marc-Olivier Fogiel : Et c’est dur de raconter cette France pluriculturelle au cinéma ?

On y arrive quand ça passe par l’humour. La première étoile pour les Antillais, La vérité si je mens, ou L’enquête corse, mais on devrait aussi pouvoir le faire en allant chercher ce qui fait mal. Aux Etats-unis, Scorsese a raconté des histoires de voyous juifs, italiens et irlandais, on a parlé de la mafia noire, ou des gangs asiatiques et ça n’empêche pas de vivre ensemble ! Maintenant, ça n’a pas toujours été facile : vous avez vu Le parrain de Coppola, évidemment. Quand le film s’est monté, il y a presque 40 ans, il a provoqué un énorme scandale, les associations italo-américaines étaient furieuses, et des gangsters avaient terrorisé l’équipe du film pour que les mots "mafia" et "Cosa nostra" ne soient jamais prononcés. C’était quand même beaucoup plus dangereux qu’un député UMP ou que toute l’assemblée de Corse.