"J’aime qu’un livre me scotche"

© Patrick Robert
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Victor Nicolas , modifié à
Frédérique Deghelt revient sur son parcours, ses romans et ses goûts littéraires.

Celle qui se décrit sur son site comme une « maîtresse du vent » raconte sa vie professionnelle atypique, et dévoile ses goûts de lectrice. Elle explique pourquoi elle souhaite avant tout qu’un livre la « scotche ». Et plébiscite les jurys de lecteurs, qui « s’embarquent ».

Vous avez été journaliste, vous êtes aujourd’hui écrivain. Présentez-vous…

Ce sont pour moi deux choses différentes. A aucun moment je me suis dit que je voulais être écrivain. C’est venu naturellement, j’écris depuis l’âge de dix ans, depuis que je lis. Il y a peut-être eu un petit temps de décalage entre l’écriture et mes premières lectures de Oui oui à la plage (rires).

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

Je voulais être journaliste, et j’ai choisi de le devenir. Je n’ai jamais suivi les codes. Quand j’étais en terminale on me disait : pour être journaliste il faut faire du droit, Sciences-Po et après le Centre de formation des journalistes (CFJ), c’était la voie royale. Mais je ne voulais pas faire de droit ni Sciences-Po, ça ne m’intéressait pas. Et après avoir passé une journée au CFJ et avoir trouvé que les étudiants étaient d’une prétention hallucinante alors qu’ils n’avaient encore rien fait, je ne voulais pas non plus faire cette école.

Quelle a donc été votre formation ?

J’ai fait de l’Histoire-géo. Je me disais que les journalistes étaient des historiens du présent. Par la suite j'ai commencé ma vie professionnelle dans différentes agences de photo. Ensuite je suis très rapidement passée à l’image animée, la photo ne me suffisait plus. Puis j’ai travaillé avec Hervé Chabalier au tout début de l’agence Capa.

Sur votre site vous vous décrivez comme une « femme du monde, maîtresse du vent ». Vous semblez un peu atypique…

Oui c’est un peu comme les livres que j’écris. C’est quelque chose qui est très français de mettre des étiquettes. Quand j’ai commencé ma vie professionnelle, je faisais des reportages. On me disait : « Vous avez fait plein de choses, mais qu’est ce que vous voulez faire vraiment maintenant ? » J’aime faire beaucoup de choses différentes. Je suis née dans une famille de musiciens, donc la musique a une importance énorme pour moi. Je pense que les gens qui créent sont dans le même couloir. Il n’y a pas de différences entre quelqu’un qui écrit, qui sculpte... C’est quelqu’un qui parle avec quelque chose de lui qu’il ne connaît pas. Ceux qui vont appréhender ce qu’il a fait vont également aller chercher quelque chose d’eux qu’ils ne connaissent pas.

Parlez-nous des romans que vous avez écrit.

J'ai écrit plusieurs romans dont La vie d'une autre, qui a été adapté au cinéma par Sylvie Testud. J'ai également rédigé deux recueils de poèmes sur la naissance et la maternité et un roman adolescent entre autres. Mes ouvrages ont presque tous été publiés chez Actes Sud, c'est une vraie rencontre. Mais le livre le plus important est toujours le prochain. Je ne travaille pas à partir d'un thème, mais d'un personnage qui s'impose à moi et qui se raconte. Mon prochain roman abordera des questions essentielles comme d'où on vient et ce qu'on fait là. Je m'intéresse beaucoup aux failles des personnages.

Quels sont vos goûts en matière de lecture?

Mes goûts sont extrêmement éclectiques. J’ai lu des auteurs du monde entier, des Chinois, des Japonais, des Américains, des vivants, des morts. Ça m’a toujours frappé que les écrivains citent toujours les mêmes. D’accord Marcel Proust, Zola, Flaubert…. Ils sont morts, même si j’adore les lire. Je lis aussi des contemporains, comme Christian Bobin, Echenoz, Pierre Michon.

Vous recherchez une exigence sur le texte et la langue ?

Oui…Certains disent que Bobin c’est la simplicité. Mais plus c’est simple, plus c’est difficile. Il y a des langues très compliquées et alambiquées mais qui ne vous parlent pas. J’ai un peu de mal avec les langages très parlés dans un livre. Si je dois lire ce que j’entends quand j’écoute ma voisine, je préfère écouter ma voisine. Ça ne m’amuse pas beaucoup. De façon générale, j’aime qu’un livre me scotche. Je peux trouver un livre agréable, mais si je suis capable de le faire, cela ne me scotche pas. J’ai lu dernièrement Pat Conroy qui arrive à décrire la fascination qu’il a pour sa mère quand il était petit, en même temps que la détestation et la façon dont elle lui a fait une vie détestable. C’est extraordinaire de faire les deux en même temps, ça me scotche.

Qu’est ce que cela représente pour vous d’être membre du jury du Prix Relay des voyageurs ?

D’abord j’aime le nom. Relayer c’est transmettre. Il n’y a pas de meilleure personne qui relaie qu’un lecteur. Ensuite le voyage fait totalement partie de ma vie. Je ne conçois pas de vivre sans voyager, même de façon immobile. Je trouve aussi assez juste de faire évaluer les livres par un jury de lecteurs.

C’est important pour vous ?

Oui, j’ai déjà reçu des prix de lecteurs, des gens qui avaient entre 18 et 95 ans. Je trouve cela magnifique parce que ce sont des prix qui sont justes. Parce qu’un lecteur ça ne s’achète pas, ça s’embarque.