Crime d'honneur, gros plan sur le gagnant

© Mickaël Robin
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Victor Nicolas , modifié à
Une famille turque immigre dans le Londres des années 70. Un choc culturel qui entraîne un crime d’honneur.

C'est le livre que le jury grand public du mois d'avril a plébiscité. Une prison dans les années 90, Londres en 1977 ou encore un village près de l’Euphrate… C’est à travers ces différents lieux et époques qu’Elif Shafak construit la narration de Crime d’honneur, sous la forme d’un puzzle. Ce roman raconte l’histoire et l’intégration d’une famille d’immigrés turcs à Londres dans les années 70.

L’histoire débute dans les années 60, dans un village kurde du bord de l’Euphrate, avec la rencontre de Pembe et Adem. Ce dernier, âgé de 18 ans, vient d’Istambul. Il souhaite épouser la sœur jumelle de Pembe, Jamila, dont il est sous le charme. Mais quand il apprend que cette dernière pourrait ne pas être vierge, il se rétracte. Pas question pour lui d’épouser une femme « souillée ». Il se marie alors avec Pembe, une union par dépit qui donnera trois enfants. Ce mariage entraînera plus tard un crime d’honneur, commis pour racheter la réputation de Pembe.

Le roman mêle l’histoire de cette rencontre, et le récit de la vie du couple à Londres. Pembe y travaille dans un salon de beauté et élève seule ses trois enfants. Elle est déçue par son mari, qu’elle décrit comme « un homme de nombreux regrets et de peu de courage ». Ce dernier dépense son argent dans des salles de jeu. Il délaisse sa femme et le logis pour Roxanna, une strip-teaseuse.

Racisme et féminisme

Les trois enfants quant à eux s’intègrent chacun à leur façon. Iskender pratique la boxe et provoque l’émoi des filles de seize ans, qui lui trouvent une « irrésistible virilité ». Yunus passe son temps avec des squatters libertaires, tandis que la discrète Esma s’essaie au féminisme. L’auteure met en lumière les différences culturelles - rapport aux autres, religion, etc - sources de décalage.

Elle décrit également le racisme dont sont victimes les immigrés. Une mise à l’écart qui entraîne parfois un repli communautaire, avec la recherche d’un retour aux sources culturelles. Pembe découvre véritablement cette discrimination lors d’une scène où elle rencontre Elias. Ce dernier lui ouvre les yeux sur ce rejet de l’autre. Par la suite elle développe des sentiments pour ce chef cuisinier divorcé, né au Liban, élevé à Montréal et immigré à Londres. Ces deux personnages entretiennent une relation amoureuse discrète et non sexuelle.

Pour l’honneur

Une relation qui remonte jusqu’aux oreilles d’Iskender, qui commet alors ce fameux crime d’honneur. Cette situation d’adultère, ou interprétée comme telle, fait écho à l’histoire familiale d’Adem. Sa propre mère s’était enfuie avec un autre homme. Pour Adem, cette situation est intolérable, car l’honneur d’un homme repose pour beaucoup selon lui sur la fidélité de sa femme. Une fois celle-ci remise en cause, le mari perdrait son honneur, ce qui ferait de lui « un homme mort ». Encore une différence culturelle avec l’Angleterre, où les mœurs seraient beaucoup plus légères.

Au final l’auteure trace une fresque nuancée et très romanesque, parsemée de réflexions générales sur la vie et les cultures, dont la portée pourrait prendre la valeur d’une fable.

Elif Shafak, parcours d'une migrante

Elif Shafak, 42 ans, est une fille de diplomate, née à Strasbourg en 1971. Elle a passé son adolescence en Espagne avant de s’établir en Turquie. Après des études en Gender and Women’s Studies et un doctorat en sciences politiques, elle a enseigné aux États-Unis. Elle vit aujourd’hui à Istanbul. Auteure reconnue dans le monde entier, elle a publié plus de dix romans, dont La Bâtarde d’Istanbul, Bonbon Palace, Lait noir et Soufi, monamour. Ce dernier est le plus grand succès de librairie des dernières décennies en Turquie.