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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce lundi, il s'intéresse à l'argent dépensée par les maisons d'édition pour des livres qui finissent à la poubelle.

Tous les jours, Bruno Donnet observe la mécanique médiatique. Ce matin, c’est la disparition de l’écrivain Philippe Sollers qui a suscité sa curiosité à l’égard de ce qui est finalement le média le plus ancien : le livre.

Philippe Sollers est mort avant-hier, à l’âge de 86 ans. Il était un immense romancier et une figure médiatique très connue du grand public, qui l’avait découvert au début des années 80, sur le plateau de Bernard Pivot.

Alors comme toujours, lorsqu’un célèbre écrivain disparait, le médias cèdent à deux réflexes : 1/ ils font réagir ses proches. Et 2/ ils se mettent en quête d’une archive qui résume la personnalité du fameux disparu.

Avant-hier donc, nos confrères de France Info ont fouillé dans leur mémoire et ils ont exhumé un petit morceau d’une interview épatante.

Philippe que Sollers, en plus d’être un auteur et un provocateur grand teint, était aussi éditeur. Editeur, dans la grande maison Gallimard.

Seulement voilà, il trouvait qu’on publiait, en France, beaucoup trop de livres : « Ecoutez, y’a 10 livres, c’est raisonnable en qualité, et encore, vous êtes très généreux, mettez 4 ou 5 et ce serait vraiment une année exceptionnelle. »

Alors ? Et bien alors Philippe Sollers avait inventé un mot. Un néologisme. Une contraction entre les mots « poubelle » et « publier ». Lui, disait « poublier » car il dénonçait qu’une somme considérable de livres finissent à la poubelle, avant même d’avoir atteint le plus petit lecteur : « Dans la poubelle que je dirige, qui est d’ailleurs très recherchée par les clochards du coin, Gallimard, ses clochards qui viennent et qui remarquent ma poubelle. Oui, ils viennent et ils ont des livres gratos. »

Sollers y voyait un problème économique majeur : « C’est un des métiers où la perte d’argent est la plus considérable. »

Et il posait donc, à voix haute, une question très intéressante : « Là, ça pose le problème de savoir quel est l’intérêt de faire ça ? »

Quel est l’intérêt de faire ça ?

Du coup, plus qu’aux lettres, cette petite archive a donné envie à Bruno Donnet de s’intéresser aux chiffres. Il a voulu savoir si Sollers disait vrai et comment un tel fonctionnement était économiquement possible.

Quel est le résultat de cette enquête chiffrée ?

Des proportions auxquelles on ne m’attendait pas !

D’abord, Sollers disait effectivement la vérité puisque dans notre pays, un livre sur quatre termine sa vie au pilon, sans même avoir quitté la maison d’édition. Oui oui, vous m’avez bien entendu, un livre sur quatre est écrasé, broyé, sans même être passé par la case « librairie ».

Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que nous éditons, en France, un volume de bouquins absolument colossal.

En 2018, par exemple, 82.300 ouvrages différents ont été publiés. Ça fait plus de 225 livres par jour !

Or, les Français n’en achètent que six, en moyenne, par an.  

Comment un tel système peut-il fonctionner et survivre économiquement ?

Tout simplement parce qu’il est allègrement subventionné, financé par de l’argent public.

L’année dernière par exemple, le Centre National du Livre, qui dépend du ministère de la culture, a distribué un peu plus de 22 millions d’euros, 22 millions d’aides, sonnantes et trébuchantes, aux 4.450 éditeurs que comptent notre pays.

Ça s’appelle « l’exception culturelle française ».

Un système très onéreux, certes, mais qui permet tout à la fois la création, la profusion et la recherche. En 1973, par exemple, un certain Philippe Sollers avait publié un livre, intitulé « H ». Un livre très expérimental, sans la moindre publication. Sans point, ni virgule. Un livre qui n’a rencontré aucun succès auprès du public. Et dont de nombreux exemplaires ont donc terminé leur vie à la poubelle. « Poubliés », c’est-à-dire publiés et tristement poubellisés, un petit détail que le taquin Philippe Solers faisait semblant d’avoir oublié.